Le Myanmar, nouvel eldorado pour la microfinance ?
Perrine Pouget, Banque Européenne d'Investissement. Perrine Pouget a 15 ans d’expérience en finance inclusive. Elle a débuté sa carrière avec l'ONG ADA à Luxembourg, avant de rejoindre Microrate, l'agence de notation spécialisée au Maroc, où elle a créé et géré le bureau pour l'Afrique. Depuis près de 10 ans, elle travaille pour le Groupe BEI en tant que responsable des investissements spécialisée dans l'inclusion financière et, plus récemment, dans les entreprises sociales.
La Semaine Européenne de la Microfinance, événement annuel clé du secteur organisé par la Plateforme européenne de la microfinance (e-MFP) du 16 au 18 novembre dernier à Luxembourg, a notamment mis en avant la finance inclusive dans des pays dont l'économie nationale est en pleine mutation comme le Myanmar. Cette thématique a fait l'objet d'une session modérée par Perrine Pouget de la Banque européenne d'investissement ; session durant laquelle Paul Luchtenberg de l'UNCDF, Claude Falgon d'Advans S.A. SICAR, Sanjay Sinha de l'agence de notation M-Cril, et Rommel Caringal de VisionFund Myanmar, sont revenus sur l'état d'avancement de l'inclusion financière dans le pays ainsi que sur ses principaux enjeux et défis. Retour avec Perrine Pouget sur plusieurs questions et réponses apportées durant la conférence.
Quel rôle a la finance inclusive et ses divers outils dans une économie nationale en mutation comme celle du Myanmar ?
Avec la démocratisation depuis 2010, le pays s’est ouvert aux investissements étrangers dès 2011 et une loi microfinance a été adoptée en novembre 2011.
Malgré cela, les birmans ne sont encore que 23% à détenir un compte bancaire, contre une moyenne de 69% dans les pays émergents de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique (Findex 2014). 53% de la population vit aussi avec moins de 2 dollars US par jour.
La finance informelle reste prédominante avec plus de 9 millions de personnes servies par les usuriers (environ 2.6 milliards EUR d’encours de prêts) à des taux annuels pouvant atteindre 100%. Par conséquent de nombreuses institutions financières, notamment des pays voisins comme le Cambodge, l’Inde, le Bangladesh, se sont établies ces dernières années dans le pays. A ce jour, on compte environ 170 licences octroyées par le régulateur, un chiffre en déclin avec l’abandon de leurs licences par les coopératives.
Par ailleurs, il existe clairement une demande de crédit non satisfaite entre l’offre des banques traditionnelles (encours moyen de 50 000 EUR) et l’offre des Prestataires de Services Financiers (PSF) en microfinance ou de la MADB (encours moyen de moins de 100 EUR), en termes de taille et de durée de prêts. L’offre de produits de crédit et financiers en général par acteurs formels reste limitée et peu flexible. Les PSF en microfinance favorise la méthodologie de prêt de groupe alors que les besoins sont en crédits individuels. Par conséquent l’offre de crédit formel est largement insuffisante et inadaptée pour satisfaire la demande. Les services d’épargne sont également très peu développés et peu stimulés par la réglementation en vigueur. Alors qu’il est estimé que 223 million USD sont octroyés en microcrédit, seulement 73 million USD seraient collectés en épargne.
Les besoins sont donc énormes pour libérer le potentiel économique et commercial des entrepreneurs potentiels.
Sur l’ensemble des segments de l’économie nationale, le secteur rural est le plus mal desservi par le système bancaire officiel alors qu’il représente une part du PIB non négligeable et environ 2/3 des emplois. Comment inciter les prestataires de services financiers à desservir davantage les zones rurales sachant que la pratique de la finance rurale et agricole est souvent bien plus risquée et coûteuse que celle exercée en zones urbaines et péri-urbaines ?
66% de la population adulte vivant en zone rural n’a en effet pas accès aux services financiers formels. Ceux qui ont accès le sont en général via la banque gouvernementale de développement agricole (MADB) qui offre ses services à plus de 2 millions de personnes pour le financement d’activités agricoles.
Les prestataires de service financiers sont en réalité incités par la loi microfinance à desservir les zones rurales avec l’obligation pour elle de s’engager à ouvrir des branches en zone rurale. Cette bonne intention du gouvernement est toutefois en contradiction avec certains paramètres économiques que les PSF doivent respecter d’un point de vue de la réglementation financière. D’une part, il leur est imposé un plafond sur le taux d’usure à 2.5% par mois mais aussi un taux annuel minimum de rémunération de l’épargne à 10%. Par conséquent il reste peu de marge de crédit aux PSF pour pouvoir opérer de façon pérenne en zone rurale, dans un pays à la densité par ailleurs la plus basse parmi les pays d’Asie du sud-est (78 hab/ m² dans un pays aussi grand que l’Afrique du Sud, environ 54 million d’habitants). C’est pourquoi l’offre en zone rurale reste bien souvent subventionnée.
Comme dans beaucoup d’autres marchés, la solution à une offre élargie en zone rurale viendra sans doute des nouvelles technologies et de la finance mobile. Le secteur de la technologie mobile a explosé ces dernières années, depuis une situation de quasi-inexistence de l’offre. Alors que de plus en plus de personnes s’équipent en technologie mobile et que les opérateurs consolident leurs opérations, alors viendra l’opportunité d’offrir des services financiers mobiles.
Le Ministère des finances a élaboré une feuille de route à l’appui de l’inclusion financière, en partenariat avec l’UNCDF, en 2014. Elle définit les priorités et solutions envisagées, le calendrier et les ressources nécessaires. Quelle place et quel rôle pour les bailleurs et investisseurs internationaux dans ce pays émergent de la finance inclusive ?
Après des années de dictature puis d’instabilité politique, le pays s’est ouvert et les réformes entreprises dans le secteur financier y compris en finance inclusive, sont allées en effet très vite. UNCDF a joué un rôle primordial et centralisateur dans ces avancées et dans la coordination des différentes initiatives et programmes émergeants dans le pays.
Il reste de nombreux obstacles à la construction d’un système financier qui puissent servir efficacement et responsablement la population du Myanmar. L’intervention des bailleurs et investisseurs peut aider à accélérer ou renforcer certaines avancées.
D’une part, il y a d’énormes besoins en développement de l’infrastructure de marché, et d’appuyer les autorités dans la mise en place et ou le renforcement de ces acteurs de l’éco-système financier, tels que les bureaux de crédit ou une association professionnelle en microfinance. D’autre part, avec la croissance rapide du secteur grâce à la loi microfinance et l’ouverture aux investissements étrangers, le besoin en formation et en qualification du personnel des PSF est énorme. De cela résulte le besoin également de mettre en place des politiques de ressources humaines robustes qui permettent de retenir et d’épanouir les différents talents. Les PSF offrent par ailleurs des produits très standardisés et peu flexibles, qui ne correspondent pas forcément à la demande. Un appui pour une diversification de l’offre en fonction des réels besoins des clients est donc nécessaire.
Enfin, la croissance rapide du secteur n’a pas été suivie par un renforcement proportionnel des capacités de supervision du régulateur. Egalement la loi microfinance vient d’intégrer les principes de protection du client, ce qui est une avancée et un standard de premier choix. Mais de là on s’interroge sur les moyens qui seront donnés à la fois aux PSF et aux superviseurs en ce qui concerne la mise en conformité et application effective de tels standards de façon pérenne et dans des délais raisonnables.
Un autre article, intitulé "Evolving Regulations Obscure the Future of Microfinance in Myanmar" a été publié (en anglais) sur le sité de MicroCapital à l'occasion de cette session.
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