Interview FinDev

Zoom sur l’état de la microfinance en Afrique de l’Ouest

Point de vue d’acteur sur les difficultés et points forts de la région
Crédit photo : Mary Thibaut, CGAP 2012.

Ce mois-ci le Portail vous propose un entretien avec Corinne Riquet, représentante régionale du CGAP pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre. Santé des IMF, suite du programme CAPAF, expériences de banque mobile… Elle nous livre son point de vue et son analyse sur la situation du secteur et ses perspectives.

Quel est l’état général de la microfinance dans les pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ?

CR : C’est un secteur dynamique qui touche environ 9% de la population totale des pays de la zone contre 5,5% pour le secteur bancaire, mais qui rencontre aussi des difficultés depuis quelques années que l’on pourrait qualifier de crise de croissance. La microfinance dans les 8 pays de la zone UEMOA, comme dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, a connu depuis le début des années 90 une croissance impressionnante.

Le nombre d’institutions de microfinance (IMF, ou SFD selon le terme propre à la zone) est passé d’environ 100 en 1993 à 770 à fin 2011. Sur la période 2001-2011, les encours d’épargne et de crédit ont plus que quadruplé – enregistrant un taux de croissance moyen annuel de l’ordre de 16% et 18% respectivement. 

Le Sénégal domine le marché, même si le secteur de la microfinance est également bien développé dans les autres pays tels que le Mali, le Burkina, le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire (dans une moindre mesure) et de manière plus limitée au Niger et en Guinée Bissau.

Quelles sont les grandes caractéristiques communes de la microfinance dans les pays de cette région ?

CR : Un des points forts communs à l’ensemble des pays est l’existence d’un cadre réglementaire unique spécifique à la microfinance. La nouvelle loi uniforme adoptée par l’UMOA en 2007 est maintenant promulguée dans les 8 pays de la zone.

Le secteur se caractérise aussi par une relative concentration puisque sur les 770 IMF agréées à fin 2011, une vingtaine détient près de 75% du marché. Dans certains marchés tels que la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso, une seule institution peut concentrer plus de 75% des volumes d’activité. A côté de ces institutions leaders et d'autres émergentes coexistent une multitude de petites structures, dont certaines sont parfois non agréées. 

Une autre caractéristique commune est la présence ancienne et la prédominance des coopératives ou mutuelles d'épargne et de crédit, qui représentaient 84% des institutions agréées à fin 2011. Ce qui explique aussi l’importance de la collecte de l’épargne dans la région avec un encours supérieur à celui du crédit. 

Avec la nouvelle réglementation, ce paysage pourrait évoluer puisque les institutions sous forme de société peuvent dorénavant obtenir un agrément. Leur nombre devrait augmenter significativement dans les prochaines années. La région pourrait ainsi attirer davantage les investisseurs internationaux en microfinance qui pourront prendre des participations dans ce type d’IMF.

Mais cette croissance importante s’est accompagnée d’une montée des risques et des dysfonctionnements. Cela s’est traduit par l’augmentation du nombre d’institutions en grande difficulté et placées sous administration provisoire. Selon la BCEAO, 17 institutions étaient dans cette situation à fin décembre 2011, contre 8 à fin 2008 pour les 8 pays de la zone.

Quels sont les principaux défis de la microfinance en Afrique de l’Ouest ?

CR : Les défis à relever dans le secteur de la microfinance dans la région restent importants et se situent à la fois au niveau des institutions de microfinance elles-mêmes et au niveau de leur supervision.

L'enjeu majeur pour le secteur de la  microfinance est de pouvoir étendre sa portée auprès des populations exclues et mal desservies de manière durable et en particulier dans le milieu rural grâce à offre adaptée et diversifiée.

Au niveau des institutions, les principaux défis concernent la qualité de l’information, le contrôle interne, la gouvernance et la gestion opérationnelle des crédits :

  • l’information financière produite manque de fiabilité dans bon nombre d’institutions en raison d’une qualité insuffisante des SIG ;
  • le contrôle interne est souvent inadéquat notamment parce qu’il n’a pas toujours suivi la croissance ;
  • les dérives de gouvernance constatées dans un contexte de croissance forte ont joué un rôle clé dans beaucoup des cas de dysfonctionnement ou de faillites d’institutions ;
  • la gestion opérationnelle des crédits doit être améliorée. Les insuffisances dans l’analyse préalable des dossiers et le suivi ont pour conséquence une faible maîtrise du portefeuille de crédits ; le PAR 90 jours en UMOA se situe à 5,6% en 2011 et pourrait être sous-estimé en raison du manque de fiabilité des informations transmises par certaines IMF.

Un autre défi important se situe au niveau de la surveillance du secteur qui a besoin d’être renforcée aussi bien au niveau des capacités matérielles qu’humaines. Actuellement, le nouveau cadre réglementaire n’est pas encore mis en œuvre et respecté par toutes les institutions de la sous-région.

Le champ de la supervision dans la nouvelle réglementation est maintenant partagé entre le ministère des Finances des pays respectifs d’une part et la Commission bancaire et la BCEAO d’autre part. La supervision des institutions affichant un encours d’épargne ou de crédit de plus de 2 milliards de FCFA depuis deux exercices consécutifs revient à la Commission bancaire. Ces nouvelles dispositions devraient permettre une surveillance accrue des institutions de grande taille et contribuer à améliorer la situation du secteur.

En quoi consiste le travail du CGAP dans cette région ?

CR : Le CGAP intervient à plusieurs niveaux du secteur.

Au niveau réglementaire, le CGAP appuie depuis 2005 la BCEAO en partenariat avec UNCDF et la coopération suédoise dans la mise en œuvre de certaines activités du Programme Régional d'Appui à la Finance Décentralisée (PRAFIDE). Il s’agit notamment de l’élaboration du nouveau cadre réglementaire, de la supervision des IMF et de la diffusion des informations sur le secteur.

Dans le domaine de la banque à distance et de l’utilisation des nouvelles technologies, grâce à un financement de la fondation MasterCard, le CGAP a démarré un projet en 2012 qui a pour principaux objectifs de développer l’infrastructure de marché, d’informer l'ensemble des acteurs à travers des études, séminaires et partages d’expériences et de favoriser un environnement réglementaire propice.

Nous favorisons aussi la coordination au niveau des bailleurs de fonds, notamment par l’organisation d’une rencontre régionale annuelle des bailleurs de fonds impliqués dans la région, et nous réalisons des études spécifiques. Les plus récentes ont concerné le diagnostic sur la protection des consommateurs de services de microfinance au Sénégal et les cas d’administrations provisoires d’IMF en UMOA et CEMAC.

Enfin, après la clôture du programme CAPAF en janvier 2009, le CGAP poursuit directement les activités de renforcement des capacités pour les institutions de microfinance grâce à un financement de l’AFD jusqu’à fin décembre 2013.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les suites et les acquis de ce programme CAPAF de renforcement des capacités ? 

CR : Oui, le financement AFD que je viens de mentionner a permis de poursuivre les activités. En partenariat avec les associations professionnelles des IMF et des cabinets privés, nous continuons à appuyer les formations de formateurs et le processus de certification des formateurs. A fin juin 2012, 128 formateurs étaient certifiés sur au moins un cours dans 16 pays francophones. Depuis la clôture de CAPAF, au total 41 formations de formateurs et 165 sessions de formation sur les cours CGAP ont été organisées. Les deux tiers de ces sessions de formation ont été organisées sans soutien du CGAP. 

En plus des 8 cours CGAP, nous avons introduit un nouveau cours sur l’éducation financière à partir des matériaux de Microfinance Opportunities. Quatre des huit cours ont par ailleurs été récemment mis à jour en intégrant les aspects de protection des clients, performance sociale et transparence des prix. Le processus de mise à niveau des formateurs est en cours. Lorsqu’il sera terminé, nous publierons une liste mise à jour des formateurs certifiés par pays. 

Peut-on dire que le programme a permis de structurer une offre de formation dans la région ? 

CR : oui, une offre de formation structurée existe dans chacun des 16 pays où un partenariat a été établi pour la diffusion de ces cours. Les partenaires ont la capacité d’organiser des sessions de formations en faisant appel à des formateurs certifiés et des formations de formateurs en s’appuyant sur un réseau de personnes ressources. La méthodologie est parfaitement maitrisée et une charte de qualité définit les normes à respecter. 

Toutefois, nous constatons que la viabilité de cette offre dans la plupart des marchés reste un défi. La nécessité d’une subvention demeure dans beaucoup de pays. Le CGAP mène actuellement une étude pour déterminer quelles sont les modalités qui permettent le mieux de renforcer les marchés locaux de renforcement des capacités.

Les progrès technologiques ont-ils commencé à produire concrètement des effets (nouveaux modèles, extension de la bancarisation..) en Afrique de l’Ouest comme on peut le voir dans certains autres pays africains ?

L’offre de nouvelles technologies, en particulier l’offre de « mobile banking » de la part des opérateurs de téléphonie mobile existe dans la région. Par exemple Orange et MTN ont lancé un produit de Mobile Money qui est déployé dans plusieurs pays de la région en particulier en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Mali ou encore au Bénin selon leur présence dans le pays. Des opérateurs de technologie, comme INOVA au Burkina Faso, offrent aussi des services de porte-monnaie électronique. De plus en plus de partenariats se nouent entre les opérateurs de téléphonie mobile et les institutions financières, banques et IMF. Le CGAP a mené en 2012 une étude qui détaille cette offre et met en évidence les opportunités liées à la présence d’acteurs régionaux de grande taille, à d’importants flux de fonds à l’échelle régionale et à l’existence d’un contexte réglementaire favorable. 

Il est sans doute encore un peu tôt pour mesurer l’impact sur l’inclusion financière. Les services offerts demeurent encore assez largement limités aux transferts d’argent et au paiement de factures, mais ces avancées technologiques offrent de réelles perspectives. Les partenariats avec les institutions financières permettront très certainement de réduire les coûts à la fois pour les clients et les institutions, et de toucher une population qui était jusque-là exclue.

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