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Transformer le secteur du cajou en Côte d'Ivoire : une approche "phygitale" pour favoriser l’autonomie des femmes

Une femme épluchant des noix de cajou, utilisatrice de Wi-Agri.

La scène se déroule à Bouaké, en Côte d'Ivoire. Près d'une exploitation de noix de cajou, des agricultrices sont rassemblées autour d'une femme qui les guide dans l'utilisation d'une application mobile. Les productrices sont à la recherche de moyens plus efficaces pour vendre leurs noix de cajou à des prix compétitifs. Ce type de scène est de plus en plus fréquent à Bouaké, grâce à Wi-Agri. Consciente du rôle essentiel mais insuffisamment soutenu que jouent les femmes dans la chaîne de valeur du cajou en Côte d'Ivoire, Wi-Agri a conçu une approche "phygitale", qui combine la technologie numérique à une assistance sur le terrain dans le cadre de son programme Digifemmes. Grâce à une bonne compréhension des défis auxquels sont confrontées les femmes rurales ivoiriennes, souvent déscolarisées (de force ou parfois par choix) et chargées de couvrir les frais du ménage, Wi-Agri a été en mesure de développer des produits véritablement conçus pour elles.

Bilan mitigé pour le secteur de la noix de cajou

La Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial de noix de cajou, avec une production annuelle avoisinant le million de tonnes. La production nationale commercialisée a augmenté de 19 % pour atteindre 1 225 935 tonnes en 2023. Derrière cette réussite se cache une armée de travailleurs à la tâche laborieuse, dont 500 000 producteurs, parmi lesquels 20 % de femmes. Ces agriculteurs sont chargés des premières étapes de la chaîne de valeur, qui nécessitent un travail physiquement exigeant et chronophage. Cependant, le fardeau de la production ne se limite pas au champ.  De nombreux agriculteurs, en particulier les femmes, ont du mal à accéder à un financement abordable pour acheter des intrants et des outils qui pourraient améliorer l’efficacité de leurs méthodes de culture. De manière générale, le secteur est marqué par l'instabilité des prix, les problèmes de qualité des noix, le manque de liquidité et le manque de structuration des acteurs. Ces problèmes s'ajoutent aux obstacles auxquels les femmes sont déjà confrontées, ce qui rend leur progression économique difficile.

Le manque de temps empêche les agricultrices de se consacrer pleinement à la gestion de leurs plantations 

En milieu rural, la plupart des femmes assument la responsabilité de la gestion des dépenses du ménage. Cependant, leur activité ne constitue généralement pas la principale source de revenus et elles peuvent avoir des difficultés à accéder au financement. Bien qu'elles contribuent activement à la culture et à la transformation des noix de cajou, les efforts qu'elles déploient pour couvrir les dépenses alimentaires du ménage et gérer les dépenses supplémentaires mettent en évidence les responsabilités économiques disproportionnées qui leur incombent.

Les femmes trouvent un soutien économique dans des réseaux communautaires solides

Les femmes participent activement à des groupes d'épargne et d'entraide, communément appelés AVEC ou tontines, et ont recours à ces canaux pour obtenir un soutien financier, étant donné leur accès limité aux services bancaires formels. Par exemple, lorsque le mari d'une participante à un groupe de discussion est tombé malade et s’est retrouvé dans l’incapacité de travailler, celle-ci s'est tournée vers son groupe d'épargne (AVEC) pour obtenir un prêt afin de couvrir les frais de scolarité de leurs enfants. Elle appartient également à un groupe d'entraide qui l'aide à défricher et à entretenir ses champs, car elle n'a pas les moyens d'embaucher des ouvriers.

Les femmes ont moins accès aux outils financiers numériques

L’augmentation de l'utilisation du mobile money en Côte d'Ivoire permet à un nombre croissant d’agriculteurs d'effectuer des transactions plus facilement. Mais l’accès des femmes aux téléphones mobiles accuse toujours un retard par rapport à celui des hommes, or c’est un outil indispensable pour accéder aux services numériques, notamment aux services financiers numériques. Cette disparité est due à plusieurs facteurs, notamment une culture numérique limitée, qui découle souvent de barrières socioculturelles, un accès restreint aux services d'éducation et de formation, et la prédominance de rôles traditionnels liés au genre qui limitent leur exposition à la technologie. Le manque de ressources financières est un obstacle de plus à l'achat de téléphones portables. Cependant, les femmes ont adopté le mobile money pour leurs transactions, ce qui témoigne d'une évolution vers des solutions financières numériques malgré les craintes de fraude et les préoccupations quant à l'équité de traitement dans le cadre d'initiatives financières collectives. En Côte d'Ivoire, l’écart entre les hommes et les femmes pour la détention de produits de mobile money était de 27 points de pourcentage en 2021.

Groupe de discussion avec des productrices de noix de cajou.
Crédit photo : Wi-Agri

Wi-Agri, une place de marché numérique

La plateforme numérique Wi-Agri est un outil pionnier dans la chaîne de valeur du cajou en Côte d'Ivoire, qui offre un ensemble de solutions aux défis auxquels sont confrontés les producteurs, en particulier les femmes. Conscient du rôle essentiel que jouent les femmes dans la chaîne de valeur du cajou – de la préparation des terres à la récolte et au-delà – Wi-Agri a développé une plateforme technologique pour rapprocher les fournisseurs de services des agriculteurs. Les femmes qui utilisent la plateforme ont accès à leur espace en ligne où elles peuvent poster leurs produits, ce qui les rend visibles auprès des acheteurs également inscrits sur la plateforme.

Grâce à des fonctionnalités telles que la gestion de stocks virtuelle, les paiements sécurisés par mobile money et l'accès au crédit par le biais d'un partenariat avec une institution de microfinance, Wi-Agri offre aux productrices la possibilité d'optimiser leurs opérations et d'augmenter leurs revenus.

L'approche physique avec Digifemmes et les ambassadrices

Le programme Digifemmes, qui fait partie intégrante de la mission de Wi-Agri, a été conçu pour soutenir les femmes dans le secteur agricole de la Côte d'Ivoire et favoriser leur autonomie. Au-delà de la simple facilitation des transactions numériques sur la plateforme Wi-Agri, le programme cherche à lever les obstacles qui empêchent les femmes de participer pleinement à la chaîne de valeur agricole et d'y réussir. La clé du succès du programme réside dans le recours à des « ambassadrices », qui sont sélectionnées pour leur connaissance approfondie des communautés qu'elles servent et les liens qu'elles entretiennent avec elles. Ces ambassadrices ne sont pas seulement des facilitatrices ou des formatrices ; elles sont des piliers de soutien et des ponts dignes de confiance entre les femmes et le monde numérique de l'agro-industrie.

Les ambassadrices Digifemmes sont soigneusement sélectionnées dans les communautés villageoises pour leur proximité avec les femmes et leur capacité à les mobiliser. Elles doivent posséder un niveau minimum d'alphabétisation et être à l'aise avec l'utilisation d'un smartphone. Elles rencontrent les productrices et cueilleuses environ deux fois par semaine, dans le cadre de sessions de facilitation avec des tablettes fournies par Wi-Agri et de formations hebdomadaires dispensées par l'équipe de Wi-Agri.

Les ambassadrices ont des objectifs en termes de nombres d'inscrits et sont chargées de répondre aux questions fréquemment posées au sujet de la plateforme. Elles répondent aux questions, recueillent des commentaires et distribuent des supports de formation. Elles aident les femmes à naviguer sur la plateforme Wi-Agri, en veillant à ce que même celles qui ont un niveau d'alphabétisation ou des compétences numériques limités puissent en bénéficier, ce qui élimine directement un obstacle important à l'adoption du numérique. Les ambassadrices veillent à ce que les besoins des femmes soient pris en compte, en s’assurant que le programme s'adapte à leurs réalités et renforce leur engagement envers les services financiers numériques.

Les ambassadrices de Digifemmes sont confrontées à certaines difficultés, notamment le manque de documents d'identification des productrices, nécessaires à l'enregistrement sur la plateforme, et les problèmes de connectivité, qui peuvent entraîner des retards dans l'inscription. Les ambassadrices sensibilisent donc les femmes et leurs maris à l'importance de l'enregistrement et aux avantages de la plateforme, et travaillent en étroite collaboration avec les équipes de Wi-Agri pour résoudre les problèmes techniques et administratifs rencontrés par les utilisateurs.

Le programme est renforcé par des modules de formation complémentaires sur l'éducation financière, les compétences numériques et l'entrepreneuriat, pour aider les femmes à mieux gérer leurs finances et à soutenir la croissance de leurs entreprises. Pour atteindre davantage de femmes dans les zones reculées, des partenariats stratégiques ont été conclus avec des organisations locales, des leaders communautaires et des agences gouvernementales.

Discussion avec les femmes ambassadrices du programme Digifemmes
Crédit photo : Wi-Agri

Semer les graines du changement

Wi-Agri peut franchir de nouvelles étapes en explorant différentes approches stratégiques.

  • Comment Wi-Agri peut-elle obtenir des résultats commerciaux durables, créer de la valeur pour les agriculteurs (en particulier les femmes), et les aider à renforcer leur résilience climatique et à contribuer à l'atténuation des effets du changement climatique ?
  • Comment la plateforme Wi-Agri peut-elle être étendue efficacement et durablement à d'autres chaînes de valeur (par exemple, le riz, le maïs, le manioc, le cacao) ?
  • Quels partenaires pourraient aider Wi-Agri à renforcer les services fournis dans la chaîne de valeur de la noix de cajou et à en accroître la portée et la valeur (pour les femmes rurales), et quels enseignements peut-on en tirer ? 
  • Comment Wi-Agri peut-elle communiquer efficacement sur son modèle d’affaires et sa vision auprès des investisseurs afin de promouvoir un modèle d’affaires durable ?

Pour aider à répondre à ces questions, IDH et le CGAP collaborent avec Wi-Agri dans le cadre du programme ABERA (Accelerating Business to Empower Rural Women in Agriculture), afin de stimuler l'innovation commerciale tout en faisant progresser les objectifs en matière de genre et de climat. Rejoignez-nous et contribuez vous aussi à transformer l'avenir de l'agriculture durable et à autonomiser les femmes dans les zones rurales !

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