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Mobile money et interopérabilité : concurrence versus inclusion financière ?

Explorer le marché du mobile money en Afrique et la manière dont le déploiement de l'interopérabilité affecte l'inclusion financière dans la région
Antenne-relai dans un paysage rural.

Dans le monde en perpétuel mouvement du mobile money et de l’inclusion financière, le concept d’interopérabilité occupe une place centrale. L'interopérabilité est une politique qui permet les transactions entre les utilisateurs de différents opérateurs de mobile money et vise à favoriser la concurrence entre ces opérateurs, tout en améliorant l'accès aux services financiers. Mais comment trouver le bon équilibre ?

Notre étude examine le rôle de la concurrence dans le comportement des opérateurs de mobile money et l’impact sur l’inclusion financière. Plus précisément, nous examinons les effets de l’interopérabilité des plateformes avec pour objectif de relier cette concurrence aux marges bénéficiaires des opérateurs de mobile money et à leurs investissements dans la tarification, le réseau et l’infrastructure, et, enfin, à la manière dont ces investissements affectent l’inclusion financière.

La structure du marché du mobile money en Afrique

Pour appréhender cette relation complexe, il est essentiel de comprendre la structure typique de ce marché. Il est composé de deux acteurs principaux : les sociétés de réseaux mobiles proposant des services de téléphonie et de données mobiles, et les sociétés de mobile money spécialisées dans les échanges de paiements. Souvent, ces deux entités sont intégrées verticalement, créant un environnement concurrentiel limité mais pouvant potentiellement étendre les services financiers à des zones mal desservies, les entreprises étant incitées à étendre leur marché en installant des antennes-relais dans des zones plus reculées.

Un aspect central de notre étude est le rôle des antennes-relais de téléphonie mobile, qui ne constituent pas un coût fixe pour les opérateurs car ils peuvent étendre ou réduire leur réseau d’antennes-relais en fonction des incitations économiques. Les antennes-relais de réseau mobile en Afrique ont souvent des coûts variables élevés, car elles sont alimentées par des produits coûteux comme le carburant diesel. Cette structure de marché implique que les entreprises peuvent réduire leur réseau d’antennes-relais en réponse à des chocs négatifs sur les revenus mobiles.

Notre hypothèse – un compromis entre tarification et couverture

Pour notre étude, nous émettons l’hypothèse que l’intégration verticale entre les réseaux mobiles et les sociétés de mobile money  entraîne des frais plus élevés facturés aux utilisateurs de mobile money, réduisant ainsi le bien-être finanicer des consommateurs et l’inclusion financière. Dans le même temps, nous émettons l’hypothèse que le manque de concurrence incite les entreprises de réseaux mobiles à étendre leur portée vers des zones mal desservies, renforçant ainsi l’inclusion financière grâce à une plus grande portée géographique.

Aperçus empiriques de l’étude du déploiement de l’interopérabilité des plateformes

Pour tester cette hypothèse, nous construisons un nouvel ensemble de données qui collecte des informations sur la structure tarifaire de plus de 120 opérateurs de mobile money dans tous les pays africains à partir de 2010. Les informations sur la structure tarifaire des opérateurs de mobile money ont été combinées à une documentation complète sur la couverture du réseau des entreprises dans tous les régions d’Afrique. Notre exercice empirique nécessite l’identification d’une source de variation quasi-expérimentale qui génère une concurrence plus forte entre les sociétés de mobile money. C’est pourquoi nous tirons parti d’une expérience naturelle qui s’est déroulée en Afrique au cours de la période 2010 à 2020 : le déploiement échelonné de l’interopérabilité des plateformes.

Déploiement de l'intéropérabilité

Graphique avec des cartes de l'Afrique
Notes : ces cartes montrent l’introduction échelonnée de l’interopérabilité entre les pays africains au cours de quatre années de référence. L'interopérabilité est actuellement active dans 20 pays africains et 58 opérateurs de mobile money. Les pays colorés en bleu sont ceux dans lesquels l'interopérabilité est active.

Conformément à l’hypothèse principale, nos résultats montrent que l’introduction de l’interopérabilité réduit les frais sur les transactions de mobile money, en particulier pour les paiements de faible montant. Dans le même temps, la concurrence accrue qui réduit ces frais entraîne également une réduction des marges bénéficiaires des opérateurs de réseaux mobiles, les obligeant à réduire leurs investissements dans les antennes-relais. Ainsi, l’interopérabilité a des effets négatifs sur la disponibilité du réseau, car les pays qui introduisent l’interopérabilité connaissent une baisse de leur couverture, particulièrement grave pour les districts ruraux.

Focus sur la structure tarifaire du mobile money

La structure tarifaire des opérateurs de mobile money a un impact significatif sur l’inclusion financière. Notre ensemble de données complet sur les tarifs des opérateurs de mobile money révèle une tendance cruciale : les frais sont plus élevés pour les transactions de faible valeur, imposant un fardeau disproportionné aux personnes les plus pauvres qui dépendent de petits paiements. À mesure que la valeur des transactions augmente, les frais diminuent progressivement. Cette structure tarifaire exacerbe les difficultés rencontrées par les personnes à faible revenu et entrave leur capacité à accéder au mobile money, ce qui rend toute réduction des frais particulièrement utile pour faire progresser l’inclusion financière.

Graphique avec barres
Remarques : ce graphique représente les frais annuels d'envoi de mobile money entre deux utilisateurs du même opérateur. Les frais sont exprimés en pourcentage des valeurs des transactions. Dans le panneau de gauche, chaque point correspond à l'observation de n'importe quel opérateur au cours d'une année, uniquement pour les opérateurs qui ne sont pas encore interopérables. Le panneau de droite, en revanche, montre les opérateurs interopérables. Les tranches de transactions, indiquées par des nombres ordinaux sur l’axe des x, représentent des fourchettes de valeurs de transaction harmonisées entre pays : les tranches inférieures correspondent à des montants de transaction inférieurs.

À la recherche d’une approche équilibrée

Nos résultats suggèrent que la politique d’interopérabilité des plateformes favorisant la concurrence peut avoir un effet positif en induisant une baisse des tarifs, mais également avoir des effets négatifs sur la disponibilité du réseau. Alors, comment les décideurs politiques peuvent-ils trouver le juste équilibre, en contribuant à promouvoir la concurrence sur le marché du mobile money sans entraver l’inclusion financière ? Nous proposons de combiner l'interopérabilité avec des subventions pour les télécommunications rurales, car notre étude montre que cette combinaison permet de réduire les frais sans nuire à la couverture, offrant ainsi une opportunité prometteuse d'élargir l'accès aux services financiers pour les populations rurales et mal desservies.

Dans le paysage en constante évolution de l’inclusion financière, il est essentiel de trouver le bon équilibre. Atteindre cet objectif implique une évaluation, un ajustement et une innovation continus. En tant que professionnels du secteur, continuons à explorer de nouvelles façons d’atteindre cet équilibre et de garantir que les avantages du mobile money profitent à tous, où qu’ils se trouvent.

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