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Formel ou informel ? Hommes et femmes ne font pas les mêmes choix dans l'utilisation des services financiers

Une clientèle complète une transaction en Côte d'Ivoire.

Les données ventilées par sexe constituent la première étape vers la conception de solutions d'inclusion financière qui favorisent l'égalité hommes-femmes. Mais malgré la croissance des données disponibles sur l'inclusion financière dans les pays à faible revenu, il existe toujours très peu d’analyses détaillées des différences fréquentes entre les femmes et les hommes en matière d'accès, d'utilisation et d’impact des services financiers – et très peu d’approches de collecte de données conçues pour permettre de telles analyses. Les analyses traitant les différences de comportements financiers des femmes et des hommes sur de longues périodes sont encore plus rares.

Ces lacunes peuvent s'expliquer par un ensemble de facteurs, parmi lesquels une faible perception de la valeur de ces informations et des réticences liées au coût de la collecte de données ventilées par sexe. Si les opérations de collecte de données bien conçues et exhaustives peuvent effectivement exiger beaucoup de ressources, il existe des moyens pour exploiter les données existantes afin de fournir de premières indications sur les lacunes de la recherche et la catalyser.

À partir d'une étude antérieure des données Findex, le CGAP a récemment travaillé avec Finmark Trust pour procéder à une analyse ventilée par sexe des données existantes de Finscope/FinAccess. Notre objectif était de découvrir quels éventuels schémas sexospécifiques ces ensembles de données à grande échelle pouvaient révéler sur les modalités d’utilisation des services financiers tout au long de la vie. Nous avons concentré notre analyse sur le Kenya et l'Afrique du Sud en raison de la taille des bases de données disponibles et de la diversité de leurs systèmes financiers. Voici ce que nous avons découvert. 

Les femmes optent davantage pour les services financiers informels, indépendamment de leurs revenus ou de leur niveau d'éducation

Notre analyse fournit des éléments quantitatifs qui confirment que le genre influence les préférences des individus pour les services financiers formels ou informels. Au Kenya et en Afrique du Sud, les données suggèrent que la préférence des femmes pour les services informels est déterminée par un facteur genre "intrinsèque", indépendamment du revenu et du niveau d'éducation. En d'autres termes, même lorsque l’analyse tient compte des facteurs d'éducation et de revenu, elle montre que les femmes préfèrent les services informels.

Un certain nombre d'études qualitatives (comme celles de Zollman et Sanford (2016), Johnson (2016) et Oware (2020)) contribuent à expliquer ce qui peut être à l'origine de ce facteur de genre : la répartition des opportunités selon le sexe ; les priorités et les responsabilités aux différentes étapes de la vie dans différents contextes ; le rôle fréquent des services financiers informels dans les réseaux sociaux des femmes ; et le fait que les produits informels soient adaptés au type de transactions qui caractérisent les modèles de transaction des femmes (faible montant et forte fréquence).

La préférence relative des femmes pour l’informel ne devient significative qu'au début de la vingtaine

L'adoption de comptes formels augmente rapidement chez les filles comme chez les garçons à la fin de l'adolescence, mais diverge ensuite fortement. Au Kenya, on observe un point d'inflexion dans l'adoption par les femmes de services formels de crédit et d'épargne lorsqu'elles atteignent le début de la vingtaine. En ce qui concerne l'épargne formelle en particulier, l'adoption augmente rapidement à la fin de l'adolescence, sans aucun écart ou presque entre les sexes. Mais les taux d'adoption commencent à se tasser pour les femmes au début de la vingtaine, tandis que les hommes continuent à adopter des services financiers formels. Pour les services financiers informels, cette tendance est inversée.

Accès aux services d'épargne et de crédit formels et informels au Kenya en fonction de l’âge

Source : FinAccess 2018
Source : FinAccess 2018

Nous avons observé des dynamiques similaires en Afrique du Sud. Dans les deux pays, les femmes qui accèdent aux services financiers formels semblent le faire assez tôt dans leur vie. Entre 20 et 30 ans, les femmes commencent à opter pour les services informels en plus forte proportion que les hommes, alors que l'inverse prévaut pour les services formels.

L'analyse des données révèle à la fois des facteurs simples et complexes du comportement genré

Que se passe-t-il dans la vie des jeunes femmes et jeunes hommes de ces deux pays qui semble déterminer l'adoption de services formels ou informels tout au long de leur vie ? Les données existantes sur l'inclusion financière donnent des pistes sur l'origine potentielle de ces tendances. Pour exploiter ces données, nous avons effectué des analyses de régression couvrant des dizaines de variables incluses dans les deux ensembles de données. Nous voulions voir si nous pouvions découvrir les facteurs associés aux modèles d'inclusion financière chez les hommes et les femmes à mesure de leur avancée en âge.

Au Kenya, nous avons examiné les différences de comportement entre les femmes et les hommes juste avant et après le point d'inflexion observé dans les courbes ci-dessus (c'est-à-dire entre 16 et 22 ans et entre 23 et 29 ans). Nous avons trouvé plusieurs facteurs récurrents associés à l'adoption de l'épargne formelle par les femmes et les hommes. Des niveaux de revenus plus élevés, un revenu principal provenant d'une entreprise ou d'un emploi, et l'utilisation des services d'une banque ou d'une institution de microfinance étaient tous associés à l'épargne formelle des femmes et/ou des hommes.

Cependant, des associations plus complexes sont également apparues. Par exemple, l’existence d’un revenu issu du travail occasionnel était associée à l'épargne formelle chez les femmes entre 16 et 22 ans. Chez les hommes du même groupe d'âge, elle était associée à l'épargne informelle. Différents modèles de prise de décision financière au sein du ménage semblent pousser les femmes de 16 à 22 ans à épargner de manière informelle, tandis que certains objectifs semblent dissuader les hommes de 16 à 22 ans de recourir à l’épargne informelle. Il se peut également que d'autres raisons absentes des variables de cet ensemble de données contribuent au facteur de genre.

Variables associées à l'épargne au Kenya

Variables associées à l'épargne au Kenya
L'analyse de régression compare la probabilité de posséder uniquement une épargne informelle et la probabilité de posséder une épargne formelle, seule ou en combinaison avec l'épargne informelle. Toutes les associations sont significatives, avec une valeur minimum de p = 0,05. Les coches rouges indiquent des associations négatives. Une association statistique n'implique pas nécessairement un large segment de personnes, mais plutôt une tendance significative pour les personnes dotées de la caractéristique concernée à posséder/ne pas posséder le service financier en question.

En Afrique du Sud, les tendances observées nous ont amenés à examiner des tranches d'âge plus larges : 16 à 24 ans et 25 à 59 ans. Là aussi, le revenu, l'emploi et les objectifs influençaient la probabilité, pour tous les groupes d'âge, de posséder une épargne formelle, une épargne informelle ou les deux. Cette influence était particulièrement prononcée pour les femmes.

D'autres tendances intéressantes sont également apparues. Par exemple, la perte d'un proche est associée à différents types d'épargne chez les femmes et les hommes âgés de 16 à 24 ans. De même, les femmes âgées de 25 à 59 ans qui étaient bancarisées au moment de l’enquête étaient plus susceptibles de recourir à l'épargne formelle, alors que les femmes du même groupe d'âge qui avaient été bancarisées par le passé étaient plus susceptibles de recourir à l'épargne informelle. Ce que les données ne nous disent pas, c'est si ce dernier groupe a quitté le système bancaire par choix parce qu'il préférait les services informels, ou à contrecœur parce que les produits formels ne répondaient pas à ses besoins.

Variables associées à l'épargne en Afrique du Sud

Variables associées à l'épargne en Afrique du Sud
Toutes les associations étaient significatives, avec une valeur minimum de p = 0,05. Les coches rouges indiquent des associations négatives. L'analyse de l'épargne formelle et informelle n'a été réalisée que pour la tranche d'âge 26-59 ans. Une association statistique n'implique pas nécessairement un large segment de personnes, mais plutôt une tendance significative pour les personnes dotées de la caractéristique concernée à posséder/ne pas posséder le service financier en question.

Les limites de l'exploitation des données existantes

Une recherche plus complète sur les raisons des schémas identifiés nécessitera probablement une analyse quantitative d'autres ensembles de données – notamment des variables liées au mode de vie qui ne sont généralement pas couvertes par les enquêtes sur l'inclusion financière et les études longitudinales –, un processus de collecte de données spécifique, ou une recherche qualitative plus approfondie ancrée dans les réalités du contexte. Ces études pourraient être utilisées pour répondre à certaines des questions (nombreuses) soulevées par cette recherche, au niveau national ou régional pour commencer afin de saisir les réalités contextuelles importantes. Ces questions sont les suivantes :

  • Comment les étapes de la vie des femmes influencent-elles leur émancipation économique, leur pouvoir de décision et leur perception de la valeur des services financiers ? Et comment ces facteurs conditionnent-ils leur utilisation des services financiers formels ou informels ?
  • Pourquoi le taux d'accès des femmes aux services d'épargne et autres services formels est-il plus élevé que celui des hommes à un jeune âge, puis plafonne à un niveau beaucoup plus bas ?
  • Les différences de comportement entre les cohortes jeunes et les cohortes plus âgées reflètent-elles un changement générationnel durable, ou le comportement des cohortes jeunes commencera-t-il à ressembler à celui de leurs aînés en vieillissant ?
  • Quel rôle la complémentarité joue-t-elle dans l'utilisation sexospécifique des services financiers formels et informels, et comment peut-il être renforcé ?
  • Quelles caractéristiques des produits d'épargne formels ou quels aspects du parcours client incitent les femmes à se tourner vers l'épargne informelle ?

Les ensembles de données existants sur l'inclusion financière ne fournissent peut-être pas toutes les réponses à ces questions, mais l'analyse ventilée par sexe a montré que ces données contenaient plus d'indices que le secteur n'en a encore exploité.

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Raúl Gómez-Velásquez S. , Développement international Desjardins, Canada
20 octobre 2022

L'inclusion financière peut être un outil très puissant de transformation pour promouvoir durablement une prospérité partagée et améliorer les conditions de vie et l'autonomisation économique des femmes pour prendre leurs propres décisions, ce qui peut en fin de compte avoir des effets importants sur d'autres enjeux dans le monde tels que l'accès à l'éducation, à la santé, à la sécurité alimentaire, à la propriété, à les droits sexuels et reproductifs, à les emplois formels mieux rémunérés, à la réduction de la pauvreté, à l'élimination de la violence et des abus sous toutes leurs formes. RGV

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