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Risques liés aux services financiers numériques : les femmes sont les plus touchées

Une cliente complète une transaction à Ndouci en Côte d'Ivoire.

Lorsque Kabamba a appris que des voleurs s'étaient introduits chez sa grand-mère et avaient dérobé ses économies, elle a su que celle-ci avait besoin d'argent – et rapidement. Sans argent immédiatement disponible, sa grand-mère ne pourrait pas réapprovisionner son petit commerce de tomates. Elle risquait de devoir mettre la clé sous la porte. Kabamba a envoyé 1 000 kwacha zambiens (environ 60 USD) par transfert numérique, confiante que cet argent parviendrait en quelques instants à sa grand-mère, située à plusieurs kilomètres. Cependant, lors de cet envoi, sa grand-mère a été victime d'une autre forme de vol plus insidieuse.

Kabamba a payé des frais de virement bancaire standard de 15 K mais a été stupéfaite de constater que sa grand-mère n'avait reçu que 700 K sur les 1 000 K envoyés. Celle-ci lui a expliqué que l'agent de téléphonie mobile avait retenu 300 K à titre de "frais de service". Kabamba a conseillé à sa grand-mère de prévenir l'agent qu'elle allait signaler l'incident aux autorités compétentes. Celle-ci est retournée voir l'agent, qui a reconnu son erreur et a remboursé la différence. Depuis cet incident, la grand-mère de Kabamba ne veut plus utiliser les services de transactions mobiles sans l'aide de proches de confiance.

Ce type de fraude de la part d’agents n'est qu'un des nombreux risques auxquels sont confrontés aujourd'hui les utilisateurs de services financiers numériques (SFN) dans le monde, en particulier les femmes. Au cours de l'année dernière, le CGAP a étudié l’évolution de la nature des risques auxquels sont exposés les consommateurs de SFN à l'échelle mondiale depuis 2015. Dans la typologie récemment publiée qui dénombre 66 risques pour les consommateurs de SFN, nous constatons que non seulement les risques identifiés de longue date, comme la fraude des agents, s'aggravent, mais aussi que de nouveaux risques apparaissent chaque année. Les femmes, comme la grand-mère de Kabamba, sont particulièrement vulnérables à ces risques.

Cette situation a de lourdes conséquences pour l'inclusion financière des femmes. Outre les difficultés financières associées, le fait d’avoir été victime d’une mauvaise expérience lors de leur utilisation des services mobiles, ou d'entendre parler de cas autour d’elles, peut décourager les consommatrices d'utiliser les services financiers mobiles – qui est le principal moteur de l'inclusion financière dans de nombreux pays en développement, en particulier en Afrique subsaharienne. Des expériences négatives avec les SFN peuvent également contraindre les femmes à revenir à des mécanismes financiers informels, réduisant ainsi à néant les progrès de l'inclusion financière.

Les femmes sont plus vulnérables aux risques liés aux SFN que les hommes

Des éléments récents montrent que les femmes sont plus susceptibles d’être victimes de la plupart des risques identifiés dans la typologie du CGAP. Par exemple, une étude de l'Université de Columbia a révélé que les utilisatrices de SFN en Afrique et en Asie du Sud étaient plus vulnérables que les hommes à la cyber-fraude, en particulier à la fraude par ingénierie sociale telles que le phishing par SMS ou par communication vocale. Une autre étude menée dans les zones rurales du Ghana a révélé que les clientes des services bancaires mobiles étaient relativement plus susceptibles d'être victimes d'abus que les clients masculins. Il est également prouvé que les femmes sont deux fois plus susceptibles de se faire voler leur identité et sont plus exposées au harcèlement en ligne que les hommes.
 

Source : Adapté de la typologie des risques pour les consommateurs de SFN publiée dans « The Evolution of the Nature and Scale of DFS Consumer Risks: A Review of Evidence » (CGAP 2022).


Dans un monde où les femmes ont un accès plus restreint aux technologies numériques que les hommes, elles sont également plus susceptibles d'être victimes de biais algorithmiques puisque les hommes sont mieux représentés dans les ensembles de données qui servent à "former" les algorithmes.

Le niveau de compétences numériques et financières joue un rôle dans la vulnérabilité accrue des femmes aux risques

Plusieurs facteurs rendent les femmes plus vulnérables aux risques liés aux SFN. Leur niveau de compétences numériques et financières généralement plus faible que celui des hommes joue notamment un rôle important.

D’après l'Economist Intelligence Unit, les hommes sont 30 % plus susceptibles que les femmes d'être connectés à internet en Afrique subsaharienne. Dans les 14 pays couverts par l'enquête Intelligence Consumer Survey de GSMA, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à citer parmi les principaux obstacles à la possession d'un téléphone mobile le fait de ne pas savoir l’utiliser. De même, les résultats de six enquêtes nationales approfondies indiquent que les hommes ont davantage de maîtrise des technologies numériques et des notions financières que les femmes. Alors que l'écart mondial entre les sexes en matière de culture financière est de 5 % selon une enquête menée par S&P (S&P Global Financial Literacy Survey), de nombreux pays présentent des écarts beaucoup plus importants, tant dans le monde développé que dans les régions en développement.

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, l'écart entre les sexes en matière de culture numérique et financière a exposé les femmes à un risque accru. La pandémie a accéléré la transformation digitale du monde, entraîné une flambée de la fraude numérique et contraint les femmes à utiliser les SFN même en l’absence de compétences numériques et financières suffisantes.

Écarts hommes-femmes dans les taux d’éducation financière

Il arrive que les problèmes soient aggravés par une mauvaise communication de l’État ou des prestataires de services financiers numériques auprès des agents et des clients. En Indonésie, les agents bancaires et les facilitateurs du programme Keluarga Harapan entretenaient des idées fausses sur les comptes particuliers utilisés pour recevoir les versements de l’État (G2P). Ils pensaient notamment que "tout argent laissé sur le compte serait repris par la banque". Cela a généré de l’inquiétude chez de nombreuses femmes et de la méfiance vis-à-vis de leurs comptes G2P. Malheureusement, les femmes ne signalent généralement pas les problèmes de désinformation et de manquements en raison de la complexité des procédures de recours.

Dans de nombreux pays, les normes sociales dissuadent les femmes de discuter librement avec les agents masculins et les empêchent de poser des questions sur les caractéristiques des produits. Au Bangladesh, IFC a constaté que les femmes estimaient que les agents féminins se "comportaient mieux", étaient plus faciles à aborder, plus dignes de confiance et plus aptes à préserver la confidentialité que les agents masculins. Combattre les préjugés liés aux normes de genre est essentiel pour promouvoir l'inclusion financière numérique des femmes, qui les aide à générer des revenus, à accéder aux services essentiels et à protéger leur niveau de vie.

Régulateurs, superviseurs, bailleurs de fonds et prestataires peuvent contribuer à réduire les risques liés aux SFN pour les femmes

Les risques auxquels sont confrontés les consommateurs requièrent une action urgente si l’on veut garantir des résultats positifs pour les femmes et les utilisateurs vulnérables de SFN. Des progrès notables ont été réalisés sur ce front au cours des dernières années. Par exemple, l'enquête sur l'accès aux services financiers du FMI montre qu'en octobre 2021, 71 des 165 juridictions avaient communiqué des données ventilées par sexe, soit une augmentation de 10 % par rapport au cycle précédent.

Les décideurs politiques et les régulateurs portent eux aussi une plus grande attention aux risques associés aux SFN. Il est encourageant de constater que 28 % des 43 banques centrales qui ont participé à une récente enquête de l'AFI intègrent des dispositions relatives à la protection des consommateurs dans les instruments réglementaires spécifiques aux SFN. En outre, 9 % ont conçu un cadre de protection des consommateurs spécialisé pour les SFN, et 12 % prennent en compte les problématiques de risques liées au genre.

De nombreux bailleurs de fonds ont également pris des mesures proactives pour promouvoir des pratiques responsables en matière d'accès et d'utilisation des SFN. Par exemple, International Finance Corporation (IFC), en collaboration avec CDC, KfW, Goodwell Investments et 50 signataires cofondateurs, a lancé l’initiative sur les principes d’investissement responsable dans les SFN (Investor Guidelines for Responsible Investing in DFS). Toutefois, la dimension de genre peut encore être renforcée.

Pour améliorer la disponibilité des données ventilées par sexe et atténuer les risques de consommation de SFN pour les femmes, nous formulons les suggestions suivantes :

  • Les régulateurs et les superviseurs peuvent exiger des prestataires de services financiers qu'ils communiquent des données ventilées par sexe sur les risques pour les consommateurs. Ils peuvent également surveiller les risques liés au genre à l'aide des outils décrits dans le guide de surveillance du marché (Market Monitoring Toolkit) du CGAP, comme les visites mystères, les analyses thématiques et les enquêtes téléphoniques. Une étude réalisée en 2020 à la demande de l’avocat spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la finance inclusive au service du développement a révélé que les pays ayant plus d'expérience dans la collecte de données sur l'offre ventilées par sexe avaient élaboré des politiques financières tenant compte du genre. La collecte de données sur les risques pour les consommateurs peut aider les régulateurs et les superviseurs à concevoir des réglementations de protection des consommateurs appropriées favorisant l'inclusion financière des femmes.
     
  • Les bailleurs de fonds peuvent financer des programmes qui contribuent à faire entendre la voix des femmes. Par exemple, ils peuvent soutenir les associations de consommateurs, qui souffrent d'un manque chronique de ressources. Certaines associations de consommateurs ont contribué à renforcer les compétences financières des femmes. Le Consumer Council of Zimbabwe a mis en place des programmes d'éducation financière pour 4 000 femmes par le biais de clubs d'action des consommateurs. Consumer Unity and Trust Society International a soutenu 84 000 femmes par des activités d'éducation financière, tandis que le Consumer Council of Fiji a fourni des services de conseil financier aux femmes. Les bailleurs de fonds peuvent également promouvoir des programmes qui améliorent les connaissances financières et numériques des femmes.
     
  • Les prestataires peuvent adopter une approche davantage centrée sur les clients pour mieux servir les femmes. Cela peut les obliger à adapter leur culture et leur modèle économique. Au minimum, ils pourraient chercher à mieux comprendre les besoins des femmes, par exemple en investissant dans des études sur les consommateurs et en analysant les données sur leurs propres clients. Au Bangladesh, une simple refonte de l'application de facturation des services publics et de recharge mobile de Grameenphone, GPAY, a permis de simplifier l'interface utilisateur. Les femmes les moins familiarisées avec le numérique ont ainsi pu utiliser plus facilement la solution de paiement.

En prenant ces mesures, nous pouvons contribuer à garantir que des femmes comme la grand-mère de Kabamba utilisent les SFN pour obtenir des résultats financiers positifs.


Pour plus d'informations sur les risques auxquels sont exposés les consommateurs de SFN et sur les mesures recommandées pour les réduire, voir le nouveau rapport du CGAP, The Evolution of the Nature and Scale of DFS Consumer Risks : A Review of Evidence.

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