Finance numérique : les risques pour les consommateurs évoluent
En 1994, la pyramide de Ponzi russe « MMM » s'effondrait, dépossédant des millions d'investisseurs de leurs économies. La manœuvre consistait à les escroquer en leur proposant d’acquérir des parts d’une société à grand renfort de spots publicitaires télévisuels mettant en scène des personnes ordinaires qui incitaient le public à faire le même placement qu’eux.
Cela n’a pas empêché MMM de réapparaître au cours des dix dernières années en lançant de nouveaux dispositifs basés sur les crypto-monnaies dans les pays en développement, notamment en Colombie, en Inde, au Kenya, au Nigeria, aux Philippines et en Afrique du Sud – ce qui illustre bien la nature et l'ampleur des risques auxquels sont confrontés les consommateurs à l'ère numérique. Présenté comme un « réseau d'entraide » à l'instar des groupes d'épargne informels dont beaucoup de gens sont familiers dans ces pays, MMM encourage les contributions en bitcoin, vantant l'indépendance de la crypto-monnaie vis-à-vis du gouvernement et des banques (dont beaucoup se méfient dans les pays en développement). Bien sûr, les transactions en crypto-monnaie rendent plus difficile pour des pays comme le Nigeria de mettre fin à ces activités.
MMM n'est pas un cas isolé. Les exemples de fraude basée sur les services financiers numériques (SFN) sont en augmentation dans le monde entier. Une nouvelle étude du CGAP décrit des dizaines de risques qui devraient être dans le viseur des décideurs politiques.
Avec les services financiers numériques, les consommateurs sont confrontés à de nouveaux risques d'utilisation abusive des données et de fraude
En 2015, le CGAP avait mis en évidence sept risques auxquels étaient exposés les utilisateurs de mobile money. Depuis, de nouveaux produits et canaux de distribution numériques sont apparus, transformant l'exposition aux risques des consommateurs, en particulier des utilisateurs de SFN (services financiers numériques) inexpérimentés et vulnérables. En outre, le COVID-19 a accéléré l'adoption des SFN, sans que les acteurs prennent toujours en compte les implications en termes de risques pour les consommateurs. Bien que certains rapports aient fait état des risques introduits par les nouveaux produits financiers et canaux de distribution numériques, nous n'avons pas trouvé d'analyse complète au niveau mondial sur l'évolution de la nature et de l'ampleur des risques liés aux SFN pour les consommateurs. C’est pourquoi le CGAP a lancé une étude à l'échelle internationale sur ce sujet depuis 2015.
Sur la base d'un examen des recherches existantes et de discussions avec plus de 70 experts internationaux, régionaux et nationaux, nous avons identifié plus de 60 risques pour les consommateurs, dont certains ont manifestement pris de l'ampleur au cours des dernières années. Les nouveaux risques les plus notables concernent l'utilisation abusive des données et la fraude. Il s'agit notamment de la fraude aux applications mobiles, qui se produit lorsque des fraudeurs créent de fausses applications mobiles, de la fraude à l'identité synthétique, qui consiste à créer de nouvelles identités en combinant les informations personnelles de plusieurs personnes, de l'atteinte à l'identité biométrique, qui peut entraîner le vol de données personnelles physiques ou comportementales, de la partialité algorithmique, lorsqu'un programme informatique génère des résultats injustes tels qu’une discrimination à l'égard de certains groupes de personnes, et des escroqueries par paiement direct autorisé, qui se produisent « lorsqu'un client est contraint de transférer son argent sur un compte contrôlé par le fraudeur, sous prétexte qu'il est un bénéficiaire légitime ».
Loin de ralentir, les risques plus connus des consommateurs comme les violations de données s'accélèrent
Il existe d'autres risques pour les consommateurs, qui ne sont pas nouveaux mais se sont aggravés en raison de la modularisation du secteur des services financiers et de la portée accrue des technologies numériques. C’est le cas des violations de données, des fraudes par échange de carte SIM, des pratiques de marketing et de recouvrement de créances agressives, des modes de règlement des litiges déficients et des risques d'attribution de responsabilité.
Plus inquiétant encore, l'augmentation de certains risques a dépassé le rythme de l'adoption technologique et de l'inclusion financière numérique. Par exemple, entre 2015 et 2020, le nombre de documents exposés dans le monde a augmenté de 4 550 % (de 800 millions à 37,2 milliards), alors que les données créées au cours de la même période ont augmenté de 314 % (de 15,5 zettaoctets à 64,2 zettaoctets). Au cours de trois des cinq dernières années, l'augmentation annuelle en pourcentage du nombre de documents compromis a été plus importante que l'augmentation de la quantité de données générées. Si l'on exclut 2016, qui présentait une valeur aberrante, l'augmentation annuelle moyenne en pourcentage des documents exposés était de 80 %, contre 38 % pour le volume de données créées. En outre, entre 2019 et 2020, l'augmentation des dossiers exposés à l'échelle mondiale (142 %) et des données créées à l'échelle mondiale (57 %) ont toutes deux dépassé l'augmentation du taux de pénétration des smartphones dans le monde (4,6 %) et l'augmentation du nombre de comptes de transactions mobiles actifs (17 %).
La multiplication massive du volume de documents exposés fait craindre la possibilité que les violations de données ne concourent au prochain événement mondial de type « cygne noir ». Certains des dossiers compromis ne sont même pas signalés, et le temps moyen pour identifier et contenir une violation de données est passé de 275 jours en 2015 à 287 jours en 2021.
La fraude par échange de SIM est un autre problème mondial préoccupant, dont la fréquence est plus élevée dans les pays en développement. Selon le rapport du Centre d'information sur les risques bancaires sud-africain, les incidents de fraude par échange de SIM dans le secteur bancaire ont augmenté de plus de 90 % entre 2017 et 2019, alors que le nombre d'abonnés à la téléphonie cellulaire mobile n’a augmenté que de 9,6 % sur la même période.
Malheureusement, en raison de la rareté des données mondiales sur la fraude liée aux échanges de SIM, nous n'avons pas pu mesurer l'évolution de ce risque au niveau mondial.
Depuis 2015, de nombreux rapports ont également été publiés en Chine, en Inde, en Indonésie, au Kenya, au Nigeria et aux Philippines sur des produits de crédit et canaux de distribution numériques émergents, tels que les applications mobiles et les plateformes peer-to-peer, exposant les consommateurs à différents risques. Ces risques comprennent la fraude aux applications mobiles, l'intrusion dans la vie privée et les pratiques abusives de recouvrement, qui peuvent conduire au surendettement. Comme il a été démontré au Kenya et en Tanzanie, le surendettement affecte la résilience des personnes à faible revenu, car les victimes adoptent souvent des stratégies d'adaptation préjudiciables, comme la réduction des dépenses alimentaires ou le non-paiement des frais de scolarité des enfants.
L'évolution des risques liés à la finance numérique requiert une nouvelle approche de la protection des consommateurs
Il est certain que les risques auxquels sont exposés les consommateurs de SFN sont susceptibles d'évoluer rapidement et sont interdépendants. Par exemple, en cas de violation de données, des criminels peuvent voler les données des clients et les utiliser pour commettre divers types de fraude. De même, une interruption du réseau causée par une attaque par déni de service distribué (DDoS) peut entraîner un vol de données ou amener les clients effectuant des transactions par l'intermédiaire d'agents à adopter un comportement risqué, par exemple en laissant leur téléphone à un agent pour terminer une transaction après rétablissement du réseau. En outre, la combinaison de plusieurs risques numériques peut avoir des conséquences négatives pour le client, comme le surendettement.
Ces risques peuvent également saper la ressource la plus précieuse du secteur financier, à savoir la confiance.
Les SFN ont sans conteste contribué à stimuler l'inclusion financière. Mais selon les premières observations, ils ont aussi introduit de nouveaux risques pour les consommateurs qui, s'ils ne sont pas traités, peuvent anéantir les progrès réalisés en matière d'inclusion financière. Ces risques peuvent également saper la ressource la plus précieuse du secteur financier, à savoir la confiance.
L'évolution de la nature et de l'ampleur des risques encourus par les consommateurs de SFN exige une nouvelle approche de la protection des consommateurs. Sur la base des éléments probants et des données que nous avons recueillis, nous avons développé des outils de surveillance du marché à l’intention des superviseurs (à paraître en novembre 2021) et proposé des moyens pour mieux faire entendre la voix des consommateurs dans l’élaboration de la réglementation financière. Notre récente étude en Inde a également montré qu’il était possible d’analyser les données des médias sociaux à l'aide des techniques de traitement automatique du langage naturel pour aider à détecter les risques pour les consommateurs de SFN. Nous avons également lancé des recherches dans l'Union économique et monétaire ouest-africaine afin de mieux comprendre les risques auxquels sont exposés les consommateurs de SFN dans cette région.
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