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Microfinance et COVID-19 : insolvabilité à l'horizon ?

Crédit photo : Subhrajit Basu, concours photo du CGAP 2009.

Les crises dans le secteur financier sont en général soudaines et en déconcertent plus d'un, mais l'observateur attentif peut souvent discerner des signes avant-coureurs. En juin dernier, nous avons commenté les premiers résultats de l'enquête Global Pulse du CGAP sur les institutions de microfinance (IMF), qui indiquaient que des nuages s'amoncelaient sur le secteur, mais que la tempête n'avait pas encore éclaté. La situation est inchangée, mais comme nous disposons à présent de davantage de données et de recul pour les analyser, nous pouvons mieux zoomer sur ces masses nuageuses. Dans ce billet, nous analysons en détail l'un des principaux risques pour la solvabilité des IMF : une baisse de la qualité du portefeuille. Nous constatons ainsi une forte augmentation des prêts non performants et restructurés au cours des premiers mois de la pandémie, tout en observant qu'une forte capitalisation atténue le risque d'insolvabilité de la plupart des institutions.

Augmentation des portefeuilles à risque au début de la pandémie

Le PAR30 (solde des prêts impayés depuis plus de 30 jours) est l'indicateur le plus couramment utilisé pour mesurer la qualité du portefeuille des IMF et notre enquête révèle certains signes inquiétants. Le graphique ci-dessous montre une augmentation de 41 % du PAR30 au début de la crise par rapport à une base de référence de juin 2019 antérieure à la pandémie. Toutefois, il est important de noter qu'au moins une partie de l'augmentation est probablement due à la baisse de la croissance des portefeuilles. En effet, un portefeuille en croissance peut masquer une faiblesse sous-jacente et, si la croissance s'arrête ou s'inverse, les niveaux de PAR augmentent. C'est l'un des facteurs probables du pic d'avril/mai.

La baisse du PAR30 entre le 15 et le 31 mai peut être due à des « interférences » dans notre échantillon, comme elle peut indiquer un signe de stabilisation. Nous en saurons plus sur cette tendance après les prochains cycles de notre enquête (que vous pourrez suivre sur notre tableau de bord).

PAR30 au début de la pandémie de COVID-19 (moyenne simple)

PAR30 au début de la pandémie de COVID-19 (moyenne simple)

Au-delà de cet état des lieux mondial, toutes les IMF ne sont pas touchées de la même manière. Il existe des nuances — des îlots de force et de faiblesse — qui influent sur les moyennes. Les deux facteurs les plus marquants que nous avons observés jusqu'à présent concernent la taille d'une IMF et la région dans laquelle elle se situe.

Au niveau mondial, les petites IMF ont des niveaux de PAR30 presque deux fois plus élevés que ceux des grandes institutions. D'autres variables ont également été mises en évidence, à savoir l'importance accordée par une IMF au genre, son statut réglementaire et son degré de numérisation. Néanmoins, elles étaient elles-mêmes fortement corrélées avec la taille de l'IMF qui, selon nous, est probablement le principal élément déterminant. Nous continuerons à étudier ces facteurs et partagerons les résultats au fur et à mesure qu'ils se feront jour.

PAR30 par taille d'IMF (moyenne simple)

PAR30 par taille d'IMF (moyenne simple)

Au niveau régional, nous disposons d'échantillons plus importants pour l'Afrique subsaharienne (SSA) (où les niveaux de PAR30 sont supérieurs à la moyenne simple mondiale) et l'Amérique latine et Caraïbes (LAC) (où les niveaux sont inférieurs à la moyenne). Étant donné le nombre modeste de réponses que nous recevons des autres régions, les chiffres correspondants ne peuvent être considérés comme concluants.

 

PAR30 par région (moyenne simple)

PAR30 par région (moyenne simple)

 Les restructurations de prêts et les moratoires ajoutent à l'incertitude

Les niveaux de PAR30 ne sont que l'une des pièces du puzzle qui détermine la qualité du portefeuille. Les abandons de créances doivent aussi être pris en compte, mais étant donné leur nature tardive (seulement 10 % des IMF ont déclaré avoir commencé à abandonner des créances en raison de la pandémie), nous les mettons de côté pour le moment.

Dans le contexte de la pandémie, il est plus important d'analyser les restructurations de prêts, notamment celles résultant des moratoires sur le principal et les intérêts qui ont été imposés par les gouvernements ou qui ont été accordés volontairement par les IMF.

Nos données montrent des niveaux extrêmement élevés de prêts restructurés. En ajoutant ces restructurations au PAR30, nous aboutissons à une valeur dont nous estimons qu'elle correspond aux « portefeuilles en difficulté » et qui frise les 50 % parmi les répondants à notre enquête de fin mai 2020. Ces portefeuilles en difficulté sont les nuages qui s'accumulent. Nous les voyons au loin, mais leur capacité à provoquer une tempête et l'ampleur des dégâts qu'elle pourrait causer dépendent de plusieurs facteurs. L'incertitude est particulièrement prononcée parmi les prêts qui font l’objet d’un moratoire, et dont on ne sait pas comment ils se comporteront à terme.

Portefeuilles en difficulté à l'échelle mondiale

Portefeuilles en difficulté à l'échelle mondiale

 En ce qui concerne la répartition régionale des portefeuilles en difficulté, l'échantillon est là encore plus large pour les régions SSA et LAC (jusqu’à avril 2020), où nous constatons que les portefeuilles restructurés se situent autour de 15 %. Les IMF des régions d'Asie du Sud et du Sud-Est (SSEA) et du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) présentent des niveaux de restructuration beaucoup plus élevés. Cependant, là encore, la taille réduite des échantillons de ces régions tempère les conclusions que nous pourrions en tirer.

Portefeuilles en difficulté par région

Portefeuilles en difficulté par région

 

La forte capitalisation constitue une ligne de défense

Une ligne de défense essentielle entre une IMF et l'insolvabilité, c'est le capital : il peut absorber des pertes sur prêts inattendues (au-delà de ce qui était déjà comptabilisé par le biais des provisions pour pertes). Heureusement, le secteur des IMF bénéficie de niveaux de capitalisation relativement élevés. Au niveau mondial, les IMF étudiées pour l'analyse ci-dessous affichaient des niveaux de fonds propres plus importants que de portefeuilles en difficulté.

Portefeuille en difficulté/fonds propres (moyenne simple)

Portefeuille en difficulté/fonds propres (moyenne simple)

 

Est-ce que ce sera suffisant pour résister à la tempête ? Tout dépendra de l'intensité de celle-ci. Selon un scénario optimiste, dans lequel seuls 20 % du portefeuille en difficulté seraient finalement perdus, le bilan moyen resterait solide avec un ratio fonds propres/actifs de 25 %. Et même avec un scénario catastrophique et des pertes de 80 %, les capitaux propres s'établiraient à 11 %.

Les interventions réglementaires constituent un risque distinct, mais connexe. Un ratio fonds propres/actifs de 12 % peut s'avérer suffisant pour qu'une entreprise survive économiquement, mais les exigences en matière d'adéquation des fonds propres imposées par les autorités de régulation peuvent se baser sur d'autres ratios ou définitions.
 

Scénarios de solvabilité

Scénarios de solvabilité

Un tiers des IMF rencontrent des problèmes de solvabilité

Là encore, il s'agit de chiffres mondiaux et il existe certainement des poches de vulnérabilité qui se cachent derrière ces moyennes. Le graphique de gauche ci-dessous décompose les moyennes mondiales et montre qu'environ un tiers des IMF de cette analyse ont davantage de difficultés en ce qui concerne leur portefeuille que leurs fonds propres. Ce résultat coïncide avec le fait qu'environ un tiers des IMF ont déclaré anticiper un problème de solvabilité dans les six prochains mois. Ce tiers des IMF se situe du mauvais côté de la moyenne mondiale et montrait des signes de difficultés en matière de solvabilité au début de la pandémie. Mais ce que nous ignorons, c'est si cette faiblesse est due à la pandémie ou si ces institutions se heurtaient déjà à des problèmes de solvabilité auparavant. Nous ne disposons pas de référence pré-pandémie pour ces chiffres issus de notre enquête, mais une analyse des données historiques du MIX, comme celle à laquelle Daniel Rozas a procédé pour les liquidités, pourrait nous éclairer sur la question.

 

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Tout comme pour le PAR30, la région et la taille semblent être des facteurs importants. Par ailleurs, il est intéressant de constater que ce sont les IMF de taille moyenne qui semblent subir le plus de problèmes de solvabilité, comme l'indique le graphique ci-dessous.

 

Répartition du ratio portefeuille en difficulté sur fonds propres, par taille des IMF

(approximation au 30 avril 2020)

Répartition du ratio portefeuille en difficulté sur fonds propres, par taille des IMF  (approximation au 30 avril 2020)

 Compte tenu de leurs niveaux de PAR plus élevés, on pourrait s'attendre à ce que les IMF de petite taille soient soumises à une plus grande pression. Cependant, le graphique ci-dessous montre qu'elles ont également des niveaux de fonds propres plus élevés, ce qui atténue le risque d'insolvabilité. Nos données montrent également que les petites IMF ont des niveaux plus faibles de portefeuilles restructurés. À l'autre extrémité du spectre, les grandes IMF ont moins de fonds propres, mais elles ont également des niveaux de PAR30 beaucoup plus bas. Ce sont donc les IMF de taille moyenne qui semblent en mauvaise posture.

 Ratio fonds propres/actifs, par montant d'actifs des IMF

 

Ratio fonds propres/actifs, par montant d'actifs des IMF

 

Étant donné les limitations de nos données, la comparaison des portefeuilles en difficulté avec les structures de capital à l'échelon régional demande un peu plus de travail et aboutit au graphique plus complexe ci-dessous (attention : deux axes verticaux). Ce qui en ressort, c'est l'ampleur des portefeuilles en difficulté par rapport au niveau des fonds propres en Afrique subsaharienne et dans la région MENA. Nous disposons de moins de données pour cette dernière région et ces chiffres ne doivent pas être considérés comme concluants, mais ils mériteraient un examen plus approfondi. Les données sont plus fournies pour les régions LAC et SSA, et là encore, nous constatons un risque relatif plus élevé en Afrique. Pour ce continent toutefois, si le risque demeure préoccupant, il n'est toutefois pas alarmant. En effet, même si la moitié du portefeuille en difficulté est perdu, l'IMF moyenne d'Afrique subsaharienne de notre enquête survivrait probablement. 

Portefeuille en difficulté/fonds propres

Portefeuille en difficulté/fonds propres

 

Une crise imminente de solvabilité menace-t-elle le secteur de la microfinance ?

Des signes avant-coureurs se sont multipliés en mai 2020, mais une crise mondiale ne semble pas imminente. Il est cependant impossible de l'affirmer avec certitude et nous avons encore plus de questions que de réponses. Notre analyse suggère que les prêts faisant l’objet de moratoires ne seront pas performants une fois ceux-ci levés, mais nous ne pouvons pas en être sûrs. Les moyennes mondiales et régionales masquent une plus grande vulnérabilité de certains segments de l'écosystème des IMF et environ un tiers des institutions de notre échantillon montraient déjà des signes de risque d’insolvabilité au mois de mai. Si les taux de dépréciation d'avril et de mai persistent, nous pourrions bientôt basculer en phase de crise mondiale. Il est également important de noter que la baisse de la qualité du portefeuille n'est pas la seule menace pour la solvabilité des IMF. Par exemple, si la baisse de la demande de prêts ou de la prise de risque des prêteurs finit par amoindrir la taille des portefeuilles, les IMF pourraient ne pas être en mesure de générer suffisamment de recettes pour couvrir leurs dépenses.

Cette analyse est-elle utile ?

Nous aurons besoin de votre aide dans les semaines à venir. Fin juin 2020, nous disposerons de nouvelles données et nous publierons rapidement une nouvelle actualisation de la situation. Néanmoins, le taux de réponse à notre enquête a reculé. Si vous pensez que ces informations et cette analyse sont utiles, nous vous remercions d'encourager toutes les IMF de votre réseau à répondre à l'enquête en cliquant ici. De notre côté, nous nous efforçons de simplifier le questionnaire et d'espacer les cycles d'enquête. Enfin, nous souhaitons remercier toutes les IMF qui participent à l'enquête et toutes les parties prenantes qui les incitent à le faire. Il s'agit d'un travail collectif et nous ne pourrions pas le mener à bien sans vous.

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