Interview FinDev

L'assurance indicielle du bétail et des récoltes pour faire face au changement climatique

Sarfraz Shah

Sarfraz Shah est chef de projet de micro-assurance et d'assurance agricole chez APA Insurance Limited, où il travaille au développement et à la distribution de produits d'assurance par le biais de canaux conventionnels et alternatifs. Il a 16 ans d'expérience dans la distribution d'assurances en Inde et au Kenya. Auparavant, il a travaillé pour IFFCO TOKOI General Insurance Company en Inde pendant 13 ans. Il est membre de l'Insurance Institute d'Inde et de l'OIT Insurance Insurance Facility de Genève. Sarfraz Shah est titulaire d’un MBA du National Institute of Management d'Inde et d’une licence en commerce de l’Université de Delhi.

FinDev : félicitations pour votre victoire du prix européen de la microfinance 2019 (European Microfinance Award). Le thème de cette année était "renforcer la résilience au changement climatique". De quelle manière le changement climatique affecte-t-il vos clients au Kenya ?

Sarfraz : au Kenya, l’agriculture dépend fortement des pluies. Or le changement climatique bouleverse le cycle des pluies et les sécheresses sont aujourd’hui plus fréquentes qu’autrefois. Environ 75 % des agriculteurs sont de petits producteurs, très dépendants des effets économiques des catastrophes naturelles provoquées par le changement climatique. Les sécheresses ont en particulier des conséquences catastrophiques, poussant les agriculteurs les plus aisés vers la pauvreté, et les plus pauvres vers le dénuement. A cause des sécheresses, les éleveurs nomades risquent de perdre leur bétail lorsque le fourrage disponible est réduit, et les agriculteurs risquent de perdre leurs récoltes. Par conséquent, la plupart des petits agriculteurs et éleveurs restent bloqués dans un cycle de pauvreté. Quant aux jeunes, ils quittent les zones rurales pour chercher de nouvelles opportunités en ville.

FinDev : comment APA Insurance Ltd aide vos clients à faire face au changement climatique et à renforcer leur résilience ?

Sarfraz : APA répond aux risques climatiques grâce à deux types d’assurance : l’assurance indexée sur le bétail (Index Based Livestock Insurance / IBLI) et l’assurance indexée sur le rendement géographique (Area Yield Index Insurance / AYII).

L’assurance indexée sur le bétail a été lancée en 2015 en partenariat avec le département bétail du gouvernement kenyan afin d’assurer les éleveurs nomades contre la détérioration du fourrage, qui peut mener à la mort de leur bétail. Le bétail est le principal actif et la principale source de revenus dans le nord du Kenya. Notre enquête sur le sujet a révélé que les ventes de bétails et de produits animaliers représentent 40 % du revenu des ménages.

Entre 2015 et 2017, l’APA a assuré plus de 37 000 éleveurs nomades et payé environ 6 millions de dollars d’indemnités dans le cadre de ce programme. Ces paiements ont aidé les éleveurs à acheter du fourrage pour maintenir le bétail en vie. Mais aussi à transporter les bêtes vers de meilleurs pâturages lors de la sécheresse, ainsi qu’à racheter de nouvelles têtes directement après une période critique, l’objectif étant de leur permettre de continuer à vivre de leur activité.

Notre autre produit d’assurance lié au climat est le programme d’assurance indexée sur le rendement géographique (Area Yield Index Insurance / AYII). Ce programme a été fondé en partenariat avec le département d’agriculture du gouvernement kenyan, le Programme alimentaire mondial (World Food Program), Once Acre Fund, Kenya Seeds Corporation, Equity Bank et Acre Africa. Ce produit a pour objectif d’atténuer les risques encourus par les agriculteurs en leur versant des créances lorsque le rendement moyen dans leur région tombe en dessous d'un niveau défini, quel que soit le rendement réel de la ferme de chaque client.

AYII est l’assurance agricole la plus complète. Elle protège les agriculteurs contre les dommages sur les cultures dus à des précipitions excessives, aux inondations, au gel, aux dégâts de la grêle, aux vagues de chaleur, aux tempêtes, aux nuisibles, aux maladies et à la sécheresse.

Entre 2016 et 2018, l'APA a assuré plus de 545 000 agriculteurs dans le cadre de ce programme et payé des sinistres s'élevant à près d'un million de dollars. Ces paiements assurent un soutien financier aux agriculteurs en cas de pertes résultant de chocs agricoles majeurs, minimisant ou éliminant le besoin d'une aide d'urgence fournie par le gouvernement pendant les périodes de catastrophes agricoles.

Crédit photo : APA Insurance Ltd

FinDev : quels types de données avez-vous besoin de collecter pour ces assurances ? Où obtenez-vous ces données ?

Sarfraz : pour le produit d’assurance bétail, nous utilisons des données satellites afin de documenter la disponibilité du fourrage pour évaluer les indemnités. Il s’agit de l’indice de végétation par différence normalisée (Normalized Difference Vegetation Index / NDVI). Les satellites prennent des photos du fourrage au sol tous les dix jours pour évaluer la gravité de la sécheresse et de déterminer si des paiements sont nécessaires.

Pour l’assurance indexée sur le rendement géographique, nous avons généralement besoin de l’historique des données de rendement pour chaque parcelle que nous assurons dans une zone unitaire d’assurance (unit area of insurance / UAI). Le gouvernement du Kenya nous fournit ces données, qui sont utilisées comme base pour la tarification. Nous travaillons également avec d’autres partenaires qui collectent les données sur le terrain, afin de créer notre propre base de données pour tarifier à l’avenir.        

FinDev : est-ce compliqué de vendre une assurance indicielle ? L’adoption par les clients a-t-elle constitué un défi et si oui, comment l’avez-vous surmonté ?

Sarfraz : vendre ce type d’assurance est difficile, car les petits exploitants peuvent avoir du mal à comprendre son fonctionnement et à faire confiance. En réalité, la confiance est le plus grand obstacle à l’adoption. Toutefois, la manière de distribuer le produit peut faire une grande différence. Les partenariats nous ont aidés à toucher plus d’agriculteurs, tout comme l’intégration de l’assurance aux produits ou services existants. Quand les agriculteurs découvrent que ces produits sont déjà connus, et lorsqu'ils voient que les indemnités sont effectivement payées, ils apprécient ces solutions.

FinDev : qu’en est-il du modèle économique ? Comment êtes-vous rentable ? Si vous deviez verser un paiement à tous vos clients agriculteurs en raison d’un problème qui les affecte tous, comment maintiendrez-vous le cap ?

Sarfraz : APA dispose d’un solide soutien en réassurance de la part de diverses organisations de réassurance. Les deux programmes sont également partiellement subventionnés par le gouvernement du Kenya, ce qui les rend abordables pour les agriculteurs et les éleveurs. Mais le nombre de clients augment, nous sommes donc certains que nous n’aurons plus besoin de subventions à l’avenir.

De plus en plus d’agriculteurs et d’éleveurs adoptent ces produits, ce qui va nous permettre d’obtenir des données plus fiables, de passer à l’échelle supérieure et de réduire les coûts. Jusqu’à présent, ces deux produits ont reçu une excellente réponse des clients, en particulier lorsque les deux produits ont payé des indemnités décentes.

Des deux produits, IBLI a enregistré le plus de pertes. Nous avons discuté avec les parties prenantes afin de trouver des moyens de le rendre plus durable à travers d'autres structures de soutien le long de la chaîne de valeur du bétail.

FinDev : que comptez-vous faire avec l’argent du prix ?

Sarfraz : une partie de cet argent sera utilisé pour construire des barrages de sable dans les communautés où nous travaillons, afin d’améliorer leur résilience face au changement climatique. Ces barrages sont construits sur les lits des rivières en utilisant les matériaux disponibles localement pour créer un réservoir qui fournit de l'eau aux communautés vivant sur les terres arides et semi-arides du Kenya. Nous utiliserons le reste du prix pour éduquer et sensibiliser aux solutions d'assurance et de résilience face au changement climatique.


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