Al Amana et la finance inclusive au Maroc
Youssef Bencheqroun, Directeur Général d'Al Amana
Le secteur marocain de la microfinance, dynamique et reconnu comme un champion du microcrédit dans la région MENA, sert plus de 40 % des clients dans le monde arabe. Quel regard portez-vous sur ce secteur depuis la crise de 2008 ?
Le secteur marocain de la microfinance a traversé une crise de croissance dominée par un ancien leader du marché, Zakoura, en dehors duquel la crise du secteur au Maroc aurait été moins importante. Cet événement a entaché l’image nationale de l’industrie bien qu’elle ait été moins grave et moins longue que celles subies en Inde ou en Bosnie-Herzégovine. La réaction rapide des IMF marocaines et du gouvernement a permis la mise en place d’une centrale des risques et d’un fonds de soutien à la microfinance. La crise de la microfinance au Maroc en 2008 se distingue des autres par le niveau de soutien apporté au secteur par le gouvernement marocain, les institutions de financement du développement, et d’autres acteurs (Rapport IFC "Sortie de la crise du secteur de la microfinance au Maroc : des interventions opportunes et efficaces"). Ce soutien s’est notamment illustré par l’accompagnement des régulateurs dans le processus d’absorption de Zakoura. Ils ont par ailleurs institué des règles de contrôle et de provisionnement efficaces. Et puis, un nouvel acteur "Bab Rizk Jamel" s’est installé durant cette période.
En dehors de cela, les résultats actuels du secteur sont liés à une plus grande professionnalisation des acteurs, sur l’initiative des conseils d’administration respectifs des IMF. Le fait de modérer la production pour de meilleurs résultats a dégagé des liquidités rendant moins nécessaires le recours aux bailleurs pendant les moments difficiles (les encours réduits ont permis de faire moins appel aux financements des bailleurs de fonds).
Actuellement, la population rurale marocaine constitue 43% de la population totale. La politique de crédit d’Al Amana s’est-elle ouverte aux régions rurales ?
Al Amana dispose de 278 agences rurales dont près de 130 en zones rurales enclavées et cela concerne notamment la plaine du Gharb. On compte par ailleurs un réseau de 86 points de vente mobiles dédiés aux régions rurales pauvres. Au total, notre institution dessert au moins 65 % des régions les plus pauvres du pays (taux de pauvreté > 20%). Nous offrons les mêmes produits qu’en zones urbaines avec toutefois des montants plus modérés pour prévenir le risque (le % de prêts au montant supérieur à 25 000 MAD (DH ou Dirham marocain) est plus faible qu’en moyenne nationale).
Que représente la part des femmes rurales dans le portefeuille de crédits d’Al Amana ? Pour quelles raisons les institutions financières demeurent-elles frileuses à les cibler ?
Les bénéficiaires femmes représentent plus de 42% dans le portefeuille rural d’Al Amana. Leurs projets sont analysés avec la même rigueur que ceux des hommes. Je ne dirais pas qu’il y a une frilosité ; mais juste une analyse du risque et de l’impact social. Les barrières qui demeurent sont essentiellement culturelles. Cela dit la sphère politique soutient plutôt la cause des femmes. Des actions de sensibilisation menées par la Fondation marocaine pour l’éducation financière, laquelle développe une action genre et permet un travail dans ce sens.
A partir de 2011, Al Amana a concentré ses efforts sur un développement institutionnel à plus long terme. Avez-vous prévu une transformation de la forme juridique d’Al Amana ?
Al Amana a pour le moment concentré ses efforts sur les aspects opérationnels, à savoir sur la diversification de son offre produits et la structuration de son portefeuille de prêts. Une restructuration des prêts en souffrance avec une méthode de radiation moins systématique a été adoptée. Par ailleurs, 90 nouveaux points de vente ont été ouverts et 150 autres ont été redéployés depuis 2011. Des guichets mobiles ont été mis en place surtout dans les zones rurales enclavées. Enfin, nous avons concentré nos efforts sur la diversification des produits et proposons actuellement des services d’assurance, de transfert, et des comptes IOB (Intermédiaires en Opérations de Banque) avec des partenariats forts et des résultats importants (2,5 Millliards de Dh concernant les transferts, 1 million de nos bénéficiaires assurées et 45 000 comptes ouverts d’après le dernier rapport d’activité et opérationnel mensuel). En ce qui concerne les services non financiers, une nouvelle stratégie basée sur une approche de la formation des clients a été déployée. Nous ne prévoyons pas à court terme de transformation juridique et attendons l'évolution des textes législatifs pour bien évaluer la situation.
Pour plus d’informations sur le secteur de la microfinance au Maroc, consultez le profil du pays sur le Portail Microfinance.