Interview FinDev

Comment évaluer la performance sociale d'une IMF ?

Entretien avec Marie-Anna Bénard, responsable projet chez CERISE

En permettant à des populations pauvres de développer des activités économiques via leur inclusion financière, la microfinance remplit une mission sociale. En outre, la recherche d’une performance financière est au cœur des préoccupations des IMF, qui pour répondre durablement aux besoins de leurs clients doivent construire leur viabilité financière en couvrant leurs coûts par le produit de leur activité. Cette recherche d’équilibre entre performance sociale et financière a fait naitre des groupes de réflexions à l’échelle mondiale tels que la SPTF ou CERISE. Marie-Anna Bénard, responsable de projet chez CERISE, association qui promeut une finance éthique et responsable, évoque les enjeux du secteur et les outils mis en place pour y répondre. 

Quelle différence entre performance sociale, responsabilité sociale, protection des clients et impact ? 

Définition de la performance sociale. Schéma de Cerise

Il s’agit d’une question qui nous est fréquemment posée. Dans le secteur de la microfinance, on définit les performances sociales comme la traduction effective de la mission sociale de l’IMF.

Cela s’analyse dans la chaine depuis les intentions (missions, objectifs), les actions entreprises (mise en place de politiques, procédures, systèmes internes, produits et services, etc.), les mesures correctives et le suivi des résultats. Les performances sociales se mesurent à partir des éléments internes à l’IMF (processus).

Au-delà de leur vocation de développement spécifique, consistant à « faire du bien » (« do good »), les IMF doivent aussi prendre garde à leur responsabilité sociale, c'est-à-dire à « ne pas faire de mal » (« do no harm »).

Cette notion inclut :

  • la responsabilité vis-à-vis des clients  ou protection des clients, comme minimum, pour éviter de nuire aux clients et leur proposer des services transparents et sans risques ;
  • la responsabilité sociale vis-à-vis des employés (normes sociales et notions de travail décent) ;
  • la responsabilité sociale vis-à-vis de l’environnement.

La responsabilité sociale est donc l’une des composantes de la performance sociale, mais la performance sociale ne se résume pas à la responsabilité sociale.

L’impact est quant à lui généralement défini comme l’ensemble des changements attribuables à l’action de l’IMF, souhaités ou non. L’impact se situe en bout de la chaîne d’activité d’une IMF, comme élément final des performances globales.  L’analyse de l’impact consiste à comprendre, mesurer et évaluer les effets d’une action. L’impact se mesure à partir d’informations externes à l’IMF (situation des clients, des non clients, de la communauté, etc.).

Qui est CERISE et quelle est son action ? Comment se différencie-t-elle des autres démarches sur la performance sociale ? 

CERISE est une association qui vise à soutenir et promouvoir, en Europe et dans les pays du Sud, une finance éthique et responsable, contribuant au développement social et économique des populations. CERISE travaille sur le développement et le partage avec les institutions financières et leurs partenaires, d’outils d’évaluation sociale et d’études.

Les outils de CERISE permettent à une diversité d’acteurs, IMF, entreprises sociales, investisseurs, réseaux, notamment, d’évaluer leurs performances sociales (ou celles de leurs partenaires) et d’améliorer leurs pratiques. Ce travail permet ensuite un meilleur impact sur les clients, et souvent, de meilleures performances financières (clients plus satisfaits, employés fidèles, produits adaptés et innovants, gouvernance impliquée, etc.).

Quel type d’outil proposez-vous et que permet-il de mesurer ? A qui s’adresse-t-il ? 

Pour les IMF, le dernier né de la famille est SPI4, quatrième version de SPI, initié en 2001. SPI4 est un outil d’évaluation de la performance sociale pour les institutions de microfinance.

SPI ("Social Performance Indicators") est l’un des outils d’évaluation sociale les plus utilisés. SPI a été développé par CERISE et ses partenaires dans une approche itérative. Depuis 2003, plus de 500 IMF ont utilisé l’outil SPI — régulièrement mis à jour pour tenir compte de l’avis des utilisateurs et de l’évolution du secteur – pour les aider à évaluer et améliorer leurs pratiques.

La dernière version de l’outil, SPI4, a été lancée en janvier 2014. SPI4 s’aligne sur les 6 dimensions des Normes universelles de gestion de la performance sociale développées avec la Social Performance Task Force.

SPI4 se présente sous la forme d’un fichier excel téléchargeable en ligne. Il permet aux  institutions de microfinance d’évaluer leur stade de mise en œuvre des Normes universelles de gestion de la performance sociale, qui incluent eux-mêmes les Principes de protection des clients de la Smart Campaign. SPI4 offre aussi aux utilisateurs la possibilité de personnaliser le questionnaire d’évaluation en ajoutant des modules optionnels en fonction de la spécificité de leur mission sociale (microfinance verte, pauvreté, rural, genre).

Un important travail a été fait par CERISE et ses partenaires pour aligner complètement SPI4 aux dernières initiatives du secteur (dont le MIX), et permettre ainsi aux IMF de construire leurs états sociaux, comme elles le feraient pour leurs états financiers, et de s’évaluer et reporter selon une multitude de formats standards.

Renseigner SPI4 pour la première fois peut prendre du temps, car SPI4 reprend l’ensemble des Normes Universelles y compris les normes de protection des clients.

Après le premier remplissage, il s’agira pour les IMF d’actualiser d’une année sur l’autre les pratiques mises en œuvre et les résultats.

Globalement, l’utilisation de SPI4 permettra aux IMF  d’économiser du  temps de collecte de données : elles pourront grâce à SPI4 agréger les données sociales sur un seul outil au lieu de renseigner les outils divers transmis par leurs multiples partenaires, et réduire ainsi la charge de reporting de leurs données sociales. Un groupe d’investisseurs au sein de la Social Performance Task Force (ALINUS – Aligning investor due diligence to the Universal Standards) travaille en ce moment à définir un ensemble commun d’indicateurs tirés de SPI4 pour harmoniser la collecte d’information en due diligence par exemple.

L’outil est disponible en 3 langues (EN, FR, ES) en accès libre et peut être utilisé en auto-évaluation (sans coût) ou accompagné par un auditeur externe (2 à 5 jours d’accompagnement en général). 

Quel est le profil des institutions qui mesurent leur performance sociale à l’aide de votre outil ?  Est-ce plus généralement une initiative de l’IMF ou une demande du bailleur ? 

SPI4 a fait l’objet d’un bêta-test de février à juillet 2014, ayant impliqué une diversité de profils d’IMF opérant dans différentes régions du monde. Son résumé est disponible via ce lien.  

Nous retrouvons cette diversité au fil de l’utilisation de SPI4 depuis la fin du bêta test. Données à fin février 2015 :

Répartition des IMF utilisant l'outil SPI4 selon la zone géographique

Répartition des IMF utilisant l'outil SPI4 selon la zone géographique :

  • Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) : 5%
  • Afrique sub-saharienn (SSA) : 32%
  • Asie : 28%
  • Amérique latine et Caraïbes (LAC) : 35%

A l’origine, le travail sur SPI est à l’initiative des IMF qui voulaient mieux valoriser et approfondir leur travail avec les clients. Aujourd’hui, les évaluations sociales sont également demandées par les conseils d’administration des IMF, leurs partenaires financiers, leurs partenaires techniques, parfois aussi par les régulateurs (Equateur, Bolivie, etc.). Cela doit rester des outils utiles aux IMF, d’où le travail en cours d’harmonisation, de simplification pour réduire le fardeau de reporting des IMF.

Comment aller plus loin ? Quels sont les moyens dont dispose une IMF pour gérer et suivre ses performances sociales une fois le diagnostic établi ?

SPI4 offre un langage commun à tous sur l’évaluation des performances sociales, et une feuille de route pour améliorer les pratiques.

SPI4 permet de faire un diagnostic des pratiques, et génère des rapports et un tableau de bord social à partager en interne au sein de l’institution (Comité de gestion des performances sociales, Conseil d’administration, etc.), ou en externe (investisseurs, réseaux, bailleurs, etc.). A partir de ce diagnostic, il est possible de définir un plan d’action en fixant ses propres priorités. La mise en œuvre de ces priorités peut être guidée par la richesse des ressources disponibles sur les sites de la Smart Campaign et de la SPTF, notamment le Guide de mise en œuvre des Normes universelles

Quels sont les enjeux de la performance sociale ?

Les principaux enjeux aujourd’hui autour des performances sociales consistent à permettre une  large adoption de SPI4 pour réduire le poids du reporting des praticiens, améliorer la qualité des données sociales, et surtout, traduire les diagnostics réalisés en feuille de route pour les IMF pour pouvoir améliorer leurs pratiques et renforcer leur viabilité sociale et financière.

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Moussa bangoura , Guinée
13 juillet 2023

Vraiment intéressant

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