Interview FinDev

Les conséquences du printemps arabe sur les IMF

Entretien avec Ranya Abdel-Baki, directrice de Sanabel
Crédit photo : Dominic Chavez/World Bank

La directrice de Sanabel répond aux questions du Microfinance Gateway sur les conséquences du Printemps arabe sur les IMF et nous fait part de sa vision pour l’avenir de Sanabel. 

Ranya Abdel-Baki a été nommée directrice générale de Sanabel, le réseau de microfinance de la région arabe, en octobre 2009. Sanabel (partenaire du CGAP sur le Portail de la microfinance en langue arabe) a organisé avec succès sa 8ème conférence annuelle en juin, malgré le climat d'incertitude dû au "printemps arabe". Ranya a accordé un entretien au Microfinance Gateway, dans lequel elle parle de l'état du secteur dans la région MENA (Moyen-Orient / Afrique du Nord), des conclusions de la conférence, et de ses projets pour Sanabel.
 
Comment les organisations membres de Sanabel ont-elles fait face aux événements ?
Certains marchés, comme le Liban et l'Irak, étaient mieux armés pour réagir. Leur histoire est marquée par la récurrence des situations de crise politique, ils étaient donc plus susceptibles d'avoir des plans d'urgence en place. D'autres y étaient beaucoup moins bien préparés. Mais dans tous les cas, je pense que l’on peut affirmer que la crise politique a renforcé nos membres, car elle a révélé leur vrai visage. Les motivations sociales de la microfinance dans la région MENA sont très visibles depuis le début du printemps arabe. 
 
On pourrait penser que les IMF se sont concentrées sur leur survie institutionnelle, mais elles ont au contraire placé les besoins de leurs clients avant leurs propres besoins. Nous avons vu Enda en Tunisie, par exemple, fournir un soutien - non seulement à ses propres clients, mais aussi aux réfugiés de la Libye voisine. En Égypte, First Microfinance Foundation (FMF) a organisé des foires commerciales pour ses clients pendant la révolution pour les aider à vendre leurs produits durant cette période difficile. Abyan Program, l'une des IMF les plus durement touchées au Yémen, a poursuivi les décaissements et les recouvrements dans des conditions qui avaient pourtant forcé la plupart des employés et des clients à fuir le gouvernorat d'Abyan.
 
Comment les clients ont-ils réagi à la crise ?
Avec un niveau de respect et de loyauté qui ne se serait probablement jamais vu en temps normal. Malgré la situation critique, les clients ont montré une forte implication et, dans certaines IMF, ils ont même été jusqu’à protéger les agences contre le vol et le vandalisme. Quelques clients ont prétexté les événements récents pour cesser leurs remboursements, mais ils étaient minoritaires. Le sentiment dominant est que tout le monde - clients, personnel des agences et cadres dirigeants - est dans le même bateau.
 
Vous avez mentionné l'importance des plans d’urgence. Quelles autres leçons peuvent être tirées de l'expérience des IMF au cours du Printemps arabe?
Je pense que maintenir des canaux de communication avec les clients, et entre la direction et le personnel des IMF, est crucial pour traverser des périodes troublées comme celle-ci avec le moins de dégâts possible. En outre, poursuivre son activité dans des moments difficiles ne peut que renforcer la fidélité des clients. De nombreuses IMF ont continué à renouveler les prêts des clients présentant un bon historique de remboursement et ont ainsi démontré aux autres ce qu’ils pouvaient attendre d’elles - ceux qui honorent leurs remboursements dans les temps seront reconnus et soutenus par l'IMF, y compris dans des circonstances difficiles.
 
Les bailleurs de fonds et les investisseurs ont-ils un rôle à jouer dans de telles situations ?
Certainement. Les bailleurs et les investisseurs sont des acteurs clés qui ont un intérêt concret dans le secteur de la microfinance. Pendant de telles crises, ils ont un rôle important à jouer pour soutenir leurs IMF partenaires en les aidant à analyser la situation et en leur apportant l'assistance technique et le soutien nécessaires pour surmonter les difficultés. Par ailleurs, de nombreuses IMF ont fait part de leur souhait que les bailleurs et les investisseurs les aident aussi par le rééchelonnement des prêts, pour leur permettre de rembourser leurs dettes dans les temps.
 
Sanabel a tenu sa 8ème conférence annuelle du 7 au 9 juin à Amman, en Jordanie. Etant donné les obstacles aux déplacements et à la fluidité générale des événements, il avait été question de report. Comment caractériseriez-vous l'ambiance de la conférence ?
Le mot que j'utiliserais est « engagement ». Initialement, bien sûr, nous avons eu beaucoup d’inquiétudes, tant pour la sécurité des personnes que pour Sanabel. Notre conseil d'administration et notre personnel ont beaucoup parlé avec les membres et avec les intervenants extérieurs à la région, par exemple les bailleurs de fonds et les experts internationaux. Mais les retours véhiculaient un message fort : « Maintenant plus que jamais, nous avons besoin de nous réunir et de discuter des défis auxquels le secteur est confronté ». 
 
Les participants extérieurs à la région ont montré beaucoup de soutien et nos membres sont venus parfois de très loin pour assister à la conférence. Une femme est venue d'Irak avec des points de suture encore visibles à la tête à cause d’une blessure lors d'une attaque au mortier. Un membre du Yémen dont la maison était trop proche de la fusillade n'a pas pu venir, mais un autre membre de Sanaa, dont la maison se trouvait dans un quartier plus sûr et plus proche de l'aéroport, a pu venir en toute sécurité. Au total, c’est assez incroyable, nous avons eu plus de 500 participants, c’est-à-dire presque autant qu’en 2010.
 
Vous avez présenté l'état de la microfinance dans la région MENA. Il en ressortait l’image d'un secteur recevant très peu de financements transfrontaliers et avec un taux de pénétration faible par rapport au marché potentiel. Et pourtant, il est plus performant que dans la plupart des autres régions, en termes de qualité du portefeuille, de rendement des investissements et des actifs, et de portée auprès des pauvres. Comment l’expliquez-vous ?
L'environnement réglementaire a été un obstacle dans de nombreux pays de la région. Si vous regardez les données MIX des parts de marché régionales, par exemple, vous voyez que le nombre total des IMF dans la région MENA est de 55, alors que les chiffres comparables pour l'Amérique latine et l'Asie sont respectivement de 278 et de 347. Compte tenu du nombre inférieur d’IMF dans la région MENA, il y a en conséquence un nombre assez faible d’IMF « tier 1 » ciblées par les investisseurs. Ainsi, le peu de financement entrant dans le secteur a été essentiellement dirigé sur quelques acteurs dans quelques marchés, alors que des institutions « tier 2 » prometteuses manquent des financements qui leur sont nécessaires. Mais je dirais aussi qu'il y a globalement une perception faussée de la région MENA, qui tend à être vue comme un bloc monolithique, alors qu'il y a en fait beaucoup de différences d’un pays à l’autre.
 
Que faut-il selon vous pour changer cette situation ?
Il faut un environnement réglementaire favorable. Sanabel doit travailler avec la GIZ (l'agence de développement allemande) au cours des trois prochaines années afin de fournir aux autorités de réglementation de la région MENA une plateforme d’apprentissage et d’échanges mutuels au sein de la région, mais aussi avec les régulateurs d’autres régions : l’idée est de déterminer ce qui fonctionne et comment nos politiques peuvent être adaptées. Je suis très optimiste sur ce point. Nous avons entendu des ministres (depuis les révolutions) commencer à dire qu'ils comprenaient l’importance de la microfinance en tant qu’outil pour le développement et qu’ils allaient accroître leur liberté d’exercice. 
 
A quel avenir est promis l'investissement en capitaux étrangers dans la région MENA ?
Les perceptions erronées sur la région MENA seront vite corrigées avec des données facilement accessibles. Il y a un potentiel énorme ici, mais ce sont des capitaux « patients », autrement dit à long terme, dont les institutions ont besoin. Et ces capitaux doivent aussi être accompagnés par une assistance technique. Les grands changements ne se font pas en un jour, mais pour les investisseurs dotés d’un horizon temporel plus long et d’une bonne tolérance au risque, il y a d’immenses possibilités ici.
 
En tant que directrice générale, quelle est votre vision pour Sanabel ?
Je voudrais que Sanabel soit reconnue comme porte-parole de la microfinance dans notre région, et comme une ressource officielle et fiable à la fois pour les décideurs et le public en général. La voie est peut-être un peu plus difficile parce que nous avons une base régionale, mais nous étudions les moyens de travailler par le biais de représentants nationaux. 
 
Je m’emploie également à positionner Sanabel comme une ressource pour la sensibilisation du public, notamment à travers les médias, afin d’améliorer la connaissance du secteur et de corriger les perceptions erronées. Sanabel a l'avantage de pouvoir apprendre de l’expérience d’autres organisations qui existent depuis plus longtemps. Par exemple, j'ai pu participer à un échange (organisé par le Réseau SEEP) avec Sa-Dahn, un réseau de microfinance en Inde, qui est souvent consulté par le gouvernement indien et les décideurs politiques. C'est le rôle que je souhaite voir jouer par Sanabel dans la région : un centre auquel les décideurs et les autres acteurs s’adressent pour obtenir de l'information sur les pratiques et les données du secteur de la microfinance dans la région MENA.
 
Notre question finale habituelle dans la série des « 10 questions à » est « Osez la prédiction : où en sera le secteur dans cinq ans ? » Etant donné les circonstances particulières de la région MENA, quel est votre scénario idéal pour le secteur de la microfinance ?
Faire des prédictions semble presque hors de propos, car depuis janvier dans la région, la réalité a été si loin qu’il aurait été impossible à quiconque de la prédire ou même de l’imaginer ! 
 
Mon scénario idéal serait que les gouvernements de la région arabe fassent de l’inclusion financière un sujet central dans les années à venir, et saisissent toute la puissance de cet outil. J'espère voir les cadres légaux et réglementaires refléter cet engagement : garantir à chacun un accès à ces instruments financiers ; mon souhait est que les gens s’unissent pour construire une société juste et prospère dans l’ensemble de la région. L'avenir réserve certainement d’excellentes opportunités aux microentrepreneurs arabes et à la région toute entière !
 
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