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Changer les mentalités pour favoriser l’investissement dans l’entreprenariat féminin en Afrique

Comment l'AFAWA (Affirmative Finance Action for Women in Africa) s'efforce de réduire l'écart régional entre les hommes et les femmes en matière de financement
Portrait d'Eveline Tall.

Eveline Tall est présidente de E and Partners et ancienne directrice générale adjointe d'Ecobank Transnational Inc. Figure éminente du secteur financier, elle partage ses réflexions sur l'état actuel des disparités entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’investissement, et sur le potentiel des femmes à stimuler la croissance économique de l'Afrique. Elle est également l'une des ambassadrices de l' AFAWA (Affirmative Finance Action for Women in Africa).

Portail FinDev : Vous avez une longue et riche expérience des services financiers en Afrique, ayant travaillé 17 ans au sein de Citibank et 20 ans chez Ecobank Group. D'après cette expérience, qu’est-ce qui rend nécessaire un programme comme l’AFAWA ?

Eveline Tall : Je travaille en effet dans le secteur bancaire depuis plus de trente ans. J'ai commencé ma carrière chez Citibank, puis j'ai rejoint Ecobank où j'ai accédé à un niveau de poste qu'aucune femme n’avais jamais occupé auparavant au sein du groupe Ecobank, où je supervisais un bilan d'environ 20 milliards de dollars.

Durant toutes ces années dans le secteur bancaire, je dois dire que j'ai pu constater les difficultés rencontrées par les femmes entrepreneurs pour obtenir un financement. En dehors de la microfinance, il n'y a pas beaucoup d'options à leur disposition dans la région. Les banques commerciales n'ont pas les bonnes solutions pour soutenir les femmes entrepreneurs dans leur recherche de financement. Par ailleurs, la microfinance ne répond généralement pas aux besoins des femmes lorsqu'elles sont prêtes à passer à l'échelle supérieure et à faire croître leur entreprise. Les lignes de crédit peuvent les aider, mais elles doivent être mieux conçues pour tenir compte des besoins et des réalités des femmes, par exemple en leur apportant un plus grand soutien ou une plus grande souplesse en matière de garanties. Tout en respectant les critères et règles qui sont les leurs en matière de crédit, les banques doivent être plus innovantes dans leurs relations avec les femmes entrepreneurs. 

C'est pour ces raisons que l'AFAWA a été créée, afin de répondre aux besoins de financement non satisfaits des femmes entrepreneurs en Afrique. Le continent africain compte la plus forte proportion de femmes entrepreneurs au monde, avec plus d'un quart des entreprises créées ou gérées par des femmes. Mais les femmes africaines sont confrontées à un déficit de financement estimé à 42 milliards de dollars.

S'attaquer à l'écart entre les hommes et les femmes dans l'accès au financement en Afrique

Portail FinDev : Quels sont les défis auxquels sont confrontées les femmes entrepreneurs en Afrique pour accéder au financement ? 

Eveline Tall : Ils sont multiples et se recoupent en partie, mais on peut les regrouper en trois catégories principales :

  1. L'évaluation des risques par les institutions financières. Les petites et moyennes entreprises dirigées par des femmes (PMEF) sont perçues par les institutions financières comme présentant plus de risques, bien qu'il soit prouvé que les femmes sont en réalité plus fiables dans le remboursement de leurs prêts. Les PMEF sont également plus susceptibles d'être dépourvues de garanties bancaires, ce qui les pénalise encore davantage lors de l'évaluation des risques.
  2. Les capacités insuffisantes des deux côtés du prêt. Les femmes entrepreneurs n'ont souvent pas les compétences commerciales et financières requises par les institutions financières pour pouvoir prétendre à un prêt. Mais ce qu’on néglige souvent, c'est le manque de capacités des institutions financières elles-mêmes lorsqu'elles s’adressent au marché des PMEF.  Leur manque d'expérience et de compréhension de ce marché finit par freiner les femmes et les empêche d'accéder au financement dont elles ont besoin pour développer leurs activités au-delà du niveau de la microfinance et devenir des leaders de leur secteur.
  3. L'environnement des affaires. Dans les pays du continent, des obstacles juridiques et réglementaires empêchent les PMEF de réaliser leur plein potentiel. Par exemple, dans cinq économies de la région – le Cameroun, le Tchad, la Guinée équatoriale, la Guinée-Bissau et le Niger – les femmes ne peuvent pas ouvrir un compte bancaire sans l'autorisation de leur mari. En outre, l'accès au crédit formel dépend fortement du nantissement d’actifs. Comme les femmes ont un accès limité à la propriété, elles sont moins susceptibles de pouvoir fournir ce type de garantie, ce qui les pénalise.

 Ce qu’on néglige souvent, c'est le manque de capacités des institutions financières elles-mêmes lorsqu'elles s’adressent au marché des PMEF. 

Portail FinDev : Quelle est l'approche de l'AFAWA pour lutter contre l'écart d'accès au financement et pour libérer la capacité entrepreneuriale des femmes en Afrique ?

Eveline Tall : L'AFAWA, qui est l'initiative phare du Groupe de la Banque africaine de développement, a été créée pour réduire le déficit de financement auquel sont confrontées les femmes en Afrique. Son approche repose sur trois piliers, en rapport avec les trois principaux défis que j'ai mentionnés. Le concept est simple mais efficace. Les piliers sont les suivants :

  1. L’accès au financement : l'AFAWA collabore avec des institutions de crédit à travers le continent pour fournir 5 milliards de dollars de financement aux entreprises dirigées par des femmes d'ici 2026, en s'appuyant sur un instrument de partage des risques de 250 millions de dollars géré par le Fonds africain de garantie (AGF). Par le biais de ce dispositif, la Banque a jusqu’ici approuvé environ 1,7 milliard de dollars d'investissements cumulés et s'est associée à 96 institutions financières dans 32 pays membres régionaux, soutenant au final plus de 7 000 PME dirigées ou détenues par des femmes.
  2. L'assistance technique : parmi de nombreux autres projets, l'AFAWA s'efforce de renforcer les capacités professionnelles et financières de plus de 200 coopératives de femmes dans le secteur des cultures vivrières de base en Côte d'Ivoire. Elle travaille également avec Ecobank sur un projet visant à soutenir les pratiques agricoles résilientes face au changement climatique au Ghana. Le projet fournit un financement et une assistance technique à 400 associations dirigées par des femmes et axées sur l'agriculture, ainsi qu'à des PME détenues par des femmes.
  3. La promotion d’un environnement des affaires favorable : l'AFAWA collabore avec les décideurs africains pour soutenir les réformes juridiques, politiques et réglementaires nécessaires.

Portail FinDev : Par quels moyens l'AFAWA cherche-t-elle à faire évoluer les mentalités des secteurs privé et public pour les inciter à investir dans les entreprises créées par des femmes ?

Eveline Tall : L'initiative de l'AFAWA n'est pas seulement un instrument financier ; elle vise à changer le discours et les perceptions générales, à renverser le mythe selon lequel les PMEF sont des entreprises risquées. 

Dans cette perspective, l'AFAWA a organisé une série de conférences dans différents pays, dont l'Angola, le Ghana, le Kenya, le Nigeria et le Togo, afin de promouvoir une meilleure compréhension des besoins de financement des femmes en Afrique. Ces conférences (AFAWA Finance Series) comprennent des sessions de formation sur la manière d'évaluer les produits et les services en prenant en compte la question du genre afin de mieux répondre aux besoins des femmes entrepreneurs. Elles visent également à faciliter l'octroi de subventions aux associations d'entreprises, aux incubateurs, aux coopératives et à d'autres organisations de femmes dans le but de promouvoir l'esprit d'entreprise chez les femmes.

Travailler ensemble et accélérer le changement

Portail FinDev : Quel est le potentiel des femmes d'affaires africaines pour stimuler la croissance économique en Afrique ?

Eveline Tall : Les femmes représentent 50 % de la population en Afrique. Or leurs compétences et leur expertise sont loin d'être représentées dans de justes proportions dans le monde de l'entreprise. Il faut que cela change, pour le bien de tous sur le continent. La lutte contre les inégalités entre les sexes en Afrique pourrait générer 95 milliards de dollars supplémentaires par an.

La bonne nouvelle, c'est que l'Afrique est en train de changer radicalement d'état d'esprit en ce qui concerne l'investissement dans l’entreprenariat des femmes.  Nous constatons des changements positifs, mais il est essentiel de travailler ensemble et d'aller plus vite pour combler le fossé entre les sexes et remédier au déficit de financement auquel les femmes africaines sont actuellement confrontées. 

 

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