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Face aux événements climatiques, peu d'options s’offrent aux agriculteurs du Nigeria

Un cultivateur dans son champ au Nigeria

En ce mois de juin 2021, les yeux plissés sous un soleil ardent, Ummi se demande si les pluies finiront par arriver cette année. Dans cette région rurale de l'État de Kano, au Nigeria, les pluies arrivent généralement en mars. L'année dernière, elles sont venues en avril – tardivement, mais heureusement pas au point de causer des dégâts. Il en va tout autrement cette année. Avec trois mois de retard, 75 % des plants de manioc d'Ummi sont déjà morts.

Elle a pourtant tenté de sauver sa récolte par plusieurs moyens – en engageant de la main d'œuvre pour amener l'eau d'un puits éloigné, en modelant le sol de façon à maximiser l'écoulement de l'eau et en épandant du fumier pour retenir l'eau. Heureusement, Ummi avait stocké une petite partie de sa récolte de l'année précédente, mais pour financer ces mesures d'urgence, elle a également dû vendre deux chèvres qu’elle avait reçues de son frère et solliciter un prêt auprès d'un groupe d'épargne local. La part de sa récolte qui a survécu – un quart – n'a rapporté que 4 % de son revenu habituel, si bien qu'au bout du compte, elle n'a pratiquement rien gagné en revenu net.

Flux de trésorerie et bénéfices potentiels d'Ummi (en USD) 

 

Graphique représentant Flux de trésorerie et bénéfices potentiels d'Ummi (en USD)

Ummi s'inquiétait également pour ses dix chèvres. La chaleur avait déjà réduit leur appétit et elles étaient de plus en plus maigres. Pire encore, elle craignait que leur état de faiblesse ne les rende plus vulnérables aux parasites et aux ballonnements dus à l'ingestion soudaine d'herbe grasse lorsque les pluies arriveraient. Elle savait également qu'elle devait renforcer leur abri, mais il lui restait peu d'argent après avoir essayé de sauver sa récolte de manioc. Finalement, elle a vendu deux chèvres pour renforcer l'abri, mais a tout de même perdu la moitié des huit chèvres restantes. 

L'expérience d'Ummi n’est pas isolée. Elle fait partie d'un échantillon de 250 agriculteurs du nord de Kano et du sud-est d'Enugu – deux des États les plus peuplés du Nigeria – interrogés dans le cadre d'une étude commandée par le CGAP visant à mieux comprendre comment les personnes en situation de pauvreté se préparent, font face et s'adaptent aux chocs et aux stress climatiques – et comment les services financiers les aident.

Nos entretiens avec Ummi et d'autres participants ont mis en évidence trois enseignements majeurs sur l'utilisation des services financiers par les ménages lors d’événements climatiques. 

Les stratégies financières jouent un rôle même lorsque les options financières formelles sont rares

Dans les zones rurales du Nigeria où nous avons mené notre étude, les services financiers formels se limitaient aux agences bancaires urbaines et aux envois de fonds par téléphone portable. Bien qu'ils soient minoritaires, ceux qui ont eu recours aux services financiers formels, en particulier à l'épargne en banque, ont été en mesure d’atténuer les pertes extrêmes subies par un grand nombre de leurs voisins. Par exemple, les quelques producteurs de manioc qui ont pu financer la solution coûteuse mais efficace consistant à louer une pompe à eau ont connu les baisses de revenus les plus faibles. Parmi ceux qui avaient loué une pompe à eau, plus de 50 % ont utilisé au moins une partie de leur épargne bancaire pour réunir les fonds nécessaires. Néanmoins, ce n'est pas la stratégie utilisée par la plupart des agriculteurs avec lesquels nous nous sommes entretenus.

Ils étaient beaucoup plus nombreux à recourir à des services financiers informels pour faire face aux chocs. La plupart préféraient utiliser leur propre épargne et leurs actifs avant d'emprunter de l'argent, craignant de devoir rembourser un prêt dans l'éventualité probable d'une mauvaise récolte. La vente d'actifs s’est avérée une stratégie importante, mais elle était plus facile pour les éleveurs de chèvres que pour les cultivateurs de manioc. Quant aux envois de fonds, ils ont joué un rôle étonnamment faible.

Outils financiers utilisés pour financer des stratégies d'adaptation pour la culture du manioc et l'élevage de chèvres

Graphique représentant Outils financiers utilisés pour financer des stratégies d'adaptation pour la culture du manioc et l'élevage de chèvres

Le recours à ces services ne signifie pas qu’ils sont suffisants. Si nos interlocuteurs étaient satisfaits de la rapidité avec laquelle ils pouvaient accéder aux prêts des groupes d'épargne, ils ne l’étaient pas du montant des prêts. En outre, les groupes d'épargne informels ne sont pas toujours fiables. À Kano et à Enugu, certains groupes d'épargne ont échoué parce que de nombreux membres avaient du mal à cotiser pendant les périodes difficiles. Les prêts bancaires étaient plus importants et plus fiables, mais ils étaient longs à obtenir – lorsqu'ils étaient approuvés, les récoltes étaient déjà perdues. Stocker les récoltes pour les vendre plus tard était risqué, car les fortes pluies pouvaient provoquer leur pourrissement. Les ventes d'actifs étaient efficaces, mais elles s'accompagnaient d'un net sentiment de régression.

L'impact cumulé de chocs climatiques consécutifs peut être dévastateur, car chacun d'entre eux réduit les options financières permettant de répondre au choc suivant

Une seule sécheresse ou inondation a rarement eu autant d'impact sur les populations qu'une série de chocs consécutifs en l'espace de plusieurs mois. Les pluies sont arrivées avec trois mois de retard, prolongeant la saison sèche, puis se sont déversées d'un seul coup, provoquant des inondations et emportant les semences car le sol sec et dur ne pouvait pas absorber toute l'eau. Notre étude s'est concentrée sur cette séquence de chocs pour deux moyens de subsistance importants : le manioc et les chèvres. 

Chronologie des événements météorologiques dans les États de Kano et d'Enugu, au Nigeria

Graphique représentant Chronologie des événements météorologiques dans les États de Kano et d'Enugu, au Nigeria

Le coût des mesures prises par les ménages pour résister à une double séquence de chocs météorologiques comme celle-ci est variable. Elles peuvent être gratuites (par exemple creuser la terre pour canaliser efficacement l'eau) ou au contraire coûteuses (comme louer une pompe à eau). Le coût et le succès de ces stratégies ont des implications directes sur les ressources et les options disponibles pour répondre au choc suivant. 

La réduction des actifs au fil du temps peut gravement compromettre la résilience climatique à long terme

Cette dynamique d'affaiblissement due à des chocs consécutifs a favorisé et accéléré l'épuisement des actifs à long terme. C’est ce que décrivent les personnes interrogées dans les deux États, qui citent notamment la chute des rendements agricoles, la baisse de la consommation, la pression accrue à la diversification des revenus, la déscolarisation des enfants et la nécessité de vendre des actifs essentiels tels que les terres et le bétail.

La trajectoire à long terme que cette situation laisse entrevoir pour les habitants de ces régions et leurs moyens de subsistance est inquiétante. Alors que les chocs climatiques augmentent en fréquence et en gravité, les ressources dont disposent les ménages à faibles revenus pour les gérer n'ont cessé de diminuer. Sur les 250 personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus, seules 10 % environ ont été en mesure de se rétablir complètement après la saison 2021, tandis que 90 % ont déclaré que leur base d'actifs continuait à se détériorer. Près d'un tiers d'entre elles ont indiqué que les chocs climatiques de 2021 avaient accéléré cette détérioration (voir figure ci-dessous). 

Impact d'un événement climatique sur des décennies de déclin des actifs dans deux régions du Nigeria

Graphique représentant Impact d'un événement climatique sur des décennies de déclin des actifs dans deux régions du Nigeria

Ces résultats illustrent non seulement l'importance des solutions financières pour soutenir la résilience climatique, mais aussi les conséquences de l'absence de ces solutions (en particulier lorsqu'elles se cumulent en raison de chocs consécutifs). Plus important encore, ils démontrent les conséquences inquiétantes à long terme d'une résilience insuffisante et la nécessité d'une adaptation plus fondamentale au changement climatique. Notre prochain blog examinera à quoi ressemble l'adaptation dans la pratique et à quels besoins le système financier doit répondre pour qu'elle soit efficace.

Cette série de trois blogs présente les résultats d'une étude menée par le CGAP, Decodis et MSC sur la façon dont les personnes en situation de pauvreté au Nigeria et au Bangladesh se préparent, font face et s'adaptent aux chocs climatiques, et sur le rôle des services financiers pour les soutenir. Le premier article décrit comment les ménages nigérians utilisent les services financiers pour faire face aux événements climatiques, le deuxième examine les complexités de l'adaptation au niveau local, et le troisième étudie par quels moyens améliorer la contribution des systèmes financiers à l'adaptation climatique.

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