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Les pièges de la digitalisation des IMF : sous-estimer le changement

Un homme sur un bateau de pêche au Viêt Nam.

Reconnaissons-le, la transformation digitale peut être un processus déstabilisant pour les institutions de microfinance (IMF). Pour les organisations qui ont l'habitude de fonctionner avec un point de vente physique, évoluer vers un modèle économique digital implique bien plus que l'adoption d'une nouvelle technologie. Opérer par voie numérique a des implications sur les produits, les pratiques, les équipes et les clients, et trop souvent les IMF ne sont pas préparées à gérer ces changements. Pourtant, grâce à une gestion efficace du changement, les IMF peuvent réussir leur transformation digitale et générer de la valeur pour elles-mêmes et leurs clients. Voici trois conseils pour aider votre IMF à gérer le changement associé à la digitalisation.

1. Renforcez vos capacités internes pour éviter d'être dépendant des fournisseurs

Une IMF qui engage sa transformation digitale sans avoir intégré les profils et les compétences nécessaires à tous les niveaux de l'organisation risque de ne pas tirer parti de tous les bénéfices de la digitalisation.

L'article du CGAP sur le piège courant consistant à s'enliser dans la technologie explique qu'il est important de préparer la digitalisation en renforçant les capacités internes en matière de management, d'informatique et de développement de produit, afin de générer à la fois des gains financiers et de culture professionnelle. Cet article met également en garde contre une forte dépendance à l'égard des fournisseurs. Les IMF étant à la recherche de solutions entièrement configurables, elles doivent aussi souvent internaliser aux maximum pour éviter la dépendance aux fournisseurs, les retards dans la mise sur le marché, les solutions techniques coûteuses et les limitations dans l'amélioration des processus. Cela implique de recruter et de conserver du personnel doté de compétences spécifiques. Il faut également mettre en place de solides systèmes de déploiement et de gouvernance des solutions pour permettre à l'organisation d'identifier et d'abandonner rapidement les initiatives qui n'apportent pas de valeur au client et à l'entreprise.

Chez Amret, l'une des plus grandes IMF du Cambodge, le renforcement des capacités internes a été défini comme une priorité dans la stratégie de digitalisation. Pour la première version de notre application destinée au personnel de terrain, nous nous sommes fortement reposés sur un fournisseur et nous avons eu des difficultés à respecter notre délai de mise sur le marché et à répondre à l’évolution rapide des spécifications. Nous avons donc modifié notre approche, en passant d'un modèle 100% fournisseur à un modèle hybride. Dans cette nouvelle approche, nous gérons en interne les développements centraux et de back-end, tandis qu'un partenaire agile se concentre sur la conception front-end de l'interface/expérience utilisateur (UI/UX).

2. Gérez le changement dans tous les aspects de l'activité

On risque de ne pas pouvoir bénéficier de tous les effets de la digitalisation si on ne considère pas l’ensemble et l’intégralité des processus affectés directement ou indirectement (« macro-processus ») et si tout le monde n'est pas prêt à évoluer. Prenons l'exemple de la digitalisation des processus clés pour les institutions de microfinance. Les IMF pensent pour la plupart au personnel de terrain lorsqu'elles dématérialisent un processus comme le recrutement des clients ou le crédit. Elles considèrent généralement comme prioritaire le soutien aux agents de crédit, et à juste titre : lorsqu'ils commencent à utiliser des tablettes et des outils numériques, ceux-ci doivent en effet modifier leur façon d'interagir avec les clients, de conduire les ventes et d'aborder l’évaluation des demandes de crédit. Mais la digitalisation a souvent un impact sur d'autres membres du personnel, et les IMF doivent aussi gérer ces répercussions. Par exemple :

  • Le personnel de guichet : le personnel de guichet peut constater des changements importants dans le volume et la nature de son travail grâce à la digitalisation du processus de prêt sur le terrain et à l'utilisation d’un système de score pour automatiser les renouvellements de prêts. Par exemple, la digitalisation du recueil des informations sur le terrain réduit la nécessité de double saisie sur papier et dans le système bancaire central des données sur les prêts et sur les clients. L'un des objectifs d'Amret en matière de digitalisation du processus de prêt est de réduire de moitié le temps consacré par ses guichetiers à la saisie des données. Nous avons donc dû tenir compte de l'impact de la digitalisation sur la productivité de ces employés, des changements dans leur périmètre d'activité et de la diminution prévue des effectifs. Chez Amret, l'adhésion du personnel de guichet à la digitalisation, grâce à une communication adéquate et l'ajustement des indicateurs clés de performance, a été essentielle pour gérer les changements actuels ;
     
  • Les directeurs d'agence : en quoi la digitalisation modifie-t-elle les interactions des directeurs d'agence avec le personnel de terrain et leur mode de management ? Par exemple, le fait de pouvoir approuver un prêt sur une interface web ou une application signifie que les directeurs d'agence n'ont plus besoin d'organiser des échanges physiques et des comités de crédit, qui ont toujours été une étape clé dans le processus traditionnel de prêt en microfinance ;
     
  • Les responsables régionaux ou du siège : les IMF doivent tenir leurs responsables informés des changements affectant le personnel de terrain et des nouveaux outils utilisés. Si les managers eux-mêmes ne sont pas à l'aise avec ces outils, ils ne seront pas à même d’exploiter le feedback des employés ni de contribuer à une amélioration constante des services. Chez Amret, cela signifie encourager les responsables à utiliser les nouveaux tableaux de bord disponibles et à manier les données eux-mêmes au lieu d'appeler les directeurs d'agence ou le personnel de terrain pour leur demander des rapports sur tel ou tel indicateur. Les leaders de la transformation et les chefs de projet ont un rôle clé à jouer pour aider les responsables régionaux et du siège à s'adapter à la nouvelle réalité.

3. Soutenez la digitalisation dans l'ensemble de l'organisation et soyez clair sur les attentes à court terme

L'automatisation présente de nombreux avantages, mais il est important de ne pas survendre les gains d'efficacité globaux, en particulier pour les processus opérationnels auxiliaires. La digitalisation peut avoir des avantages immédiats pour les activités de front-office, en se traduisant par des gains d'efficacité au niveau de la vente et d’autres secteurs de l’activité en contact avec la clientèle. La digitalisation peut également rendre plus efficaces les fonctions de middle et de back-office comme le recrutement, la paie et la comptabilité, notamment grâce à l'automatisation. La plupart de ces fonctions étant très consommatrices de temps et de main d’œuvre dans beaucoup d'IMF, l'automatisation peut conduire à des gains d'efficacité et à des économies de coûts significatifs.

Ces bénéfices peuvent prendre plus de temps à se matérialiser, et de nombreuses IMF se concentrent d'abord sur les gains rapides au niveau du front-office sans investir dans la digitalisation du middle et du back-office. Mais pour profiter pleinement des avantages de la digitalisation, vous devez également dématérialiser les fonctions support.

Certaines IMF investissent désormais dans des outils standard pour digitaliser ces fonctions support, souvent dans le but d'optimiser le ratio des charges d’exploitation. Lorsqu'elle est réussie, l'automatisation peut rapidement améliorer les micro-processus individuels et répondre à des indicateurs de performance clés spécifiques. Dans le cas d'Amret, elle a permis de clôturer les comptes mensuels sept jours plus tôt, d'enregistrer les charges dans les bons centres de coûts et d'améliorer la rapidité d'approvisionnement de 25 %. La digitalisation se traduit souvent par d'autres résultats positifs à court terme, parmi lesquels l'amélioration de la satisfaction des utilisateurs, de la fiabilité des données, du contrôle de gestion et de l’analyse commerciale.

Cependant, bon nombre des projets de digitalisation des fonctions de middle et de back-office ne réduisent pas nécessairement les effectifs des services financiers et des ressources humaines, ou n'ont pas d'impact positif immédiat sur les résultats. À l’inverse, ils s’accompagnent généralement d’une longue période de perturbation pendant et après la mise en œuvre. Cela se traduit souvent par des coûts supplémentaires de personnel informatique et de maintenance à court terme.

Pour que l’objectif de réduction des charges d'exploitation se concrétise réellement à plus long terme, les IMF doivent promouvoir en interne les projets de digitalisation des processus hors relation clientèle, valoriser les équipes chargées d'améliorer l'efficacité et être prêtes à modifier les méthodes et les modes d'organisation des équipes.

Il est facile de perdre le cap lors de la transformation digitale. Les IMF doivent s'organiser pour apporter de la valeur à l'entreprise et aux clients, tout en sachant clairement où la valeur se matérialisera. Chez Amret, l’objectif de la digitalisation des processus est de réduire le ratio des charges d’exploitation d'au moins 7 points de base d'ici la fin 2022 par rapport à 2019, malgré deux années de revenus affectés par la crise du COVID-19.


Estelle Darie-Rousseaux est directrice exécutive d'Amret, l'une des plus grandes institutions de microfinance du Cambodge. Sous-estimer les besoins de gestion du changement est un écueil courant dans la transformation digitale des IMF, mais ce n'est pas le seul. Pour en savoir plus sur d'autres problèmes courants mais évitables, consultez les autres articles de notre série en cours, « Les pièges de la digitalisation des IMF : quels sont-ils et comment les éviter ? ». Voir également notre publication « Digitization in Microfinance : Case Studies of Pathways to Success », qui s’intéresse plus en détail au parcours d’Amret et d’autres IMF qui ont réussi leur digitalisation.

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