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Étendre l’assurance sociale au secteur informel : une planche de salut pour des millions d’Africains

Crédit photo : Zinyange Auntony, concours photo du CGAP 2018.

Cet article a été publié initialement sur le blog de la Banque mondiale. 

Pour Samuel, vendeur de fruits à Nairobi, la capitale du Kenya, la journée démarre toujours de la même manière : dès 6 heures du matin, il achète ses produits au marché de gros puis il part installer son étal au coin d’une rue, dans une zone commerciale animée. Il a quitté son village, avec sa femme et ses trois enfants, en quête d’une vie meilleure en ville. Samuel gagnait de quoi nourrir tout le monde et payer son loyer. Les bonnes semaines, il mettait même un peu d’argent de côté pour pouvoir, un jour, ouvrir son propre kiosque à jus de fruits. Mais la pandémie de coronavirus (COVID-19) est venue tout bouleverser : à cause des mesures de confinement, il a perdu sa seule source de revenu. Il sera bientôt au bout de ses réserves.

Les transferts sociaux n’étant accordés qu’aux ménages considérés comme pauvres avant la pandémie, Samuel ne peut pas y prétendre. Avec sa famille étendue au village et en l’absence de programme gouvernemental susceptible de l’aider, Samuel est contraint de faire appel à ses pairs de sa Jua Kali, une association du secteur informel.

Des millions de travailleurs de cette économie parallèle en Afrique se retrouvent dans la même situation que Samuel, du Kenya au Bénin en passant par l’Afrique du Sud. En moyenne, ils représentent 60 % de l’emploi non agricole total dans la région, une proportion qui peut atteindre 90 % dans certains pays. Véritables chevilles ouvrières de la croissance économique, ces travailleurs sont extrêmement vulnérables. Pourtant, comme Samuel, ils sont rarement couverts par les programmes ciblés de lutte contre la pauvreté. Par essence hétérogène, le secteur informel réussit plus ou moins bien à faire face aux chocs économiques. Lorsqu’ils se situent sous le seuil de pauvreté, ses travailleurs bénéficient des transferts sociaux du gouvernement. Mais tous ceux qui s’en sortent un peu mieux — les commerçants, les boutiquiers et les indépendants — parviennent en général à lisser leur consommation grâce à une épargne de précaution, sans bénéficier pour autant de la protection des travailleurs du secteur formel, couverts par l’assurance sociale.

Typologie a été développée par Clément Joubert, économiste à la Banque mondiale (DECHD).
Cette typologie a été développée par Clément Joubert, économiste à la Banque mondiale (DECHD). La typologie est appliquée aux données d’enquête sur la consommation, l’emploi et les chocs économiques. La pauvreté est définie en fonction des seuils nationaux. Un ménage est classé comme vulnerable s’il a subi un choc économique récent le poussant à des adaptations dommageables (réduction de la consommation alimentaire, vente de biens productifs, retrait des enfants de l’école, etc.). La formalité est définie comme la participation de l’employeur aux programmes de protection sociale.

La protection sociale doit aussi couvrir les travailleurs du « segment manquant »

Avec des programmes déployés dans plus de 45 pays, les filets de protection sociale constituent un outil clé pour acheminer rapidement de l’aide en Afrique. Mais la plupart de ces dispositifs, bâtis sur les registres sociaux, n’ont qu’une couverture limitée et ciblent les populations des zones rurales les plus démunies. Pour rendre ces systèmes plus inclusifs et adaptables en période de crise, les pays d’Afrique doivent poursuivre leurs efforts pour constituer des registres sociaux plus exhaustifs et réactifs.

Même renforcée, la protection sociale destinée aux plus pauvres ne couvrirait pas de nombreux travailleurs informels, en particulier dans les villes, puisqu’ils s’en sortent relativement mieux. Mais dans la plupart des pays en développement, ils constituent une proportion importante de la population. La pandémie de COVID-19 agit comme un révélateur, puisque le confinement et la chute de l’activité économique rejaillissent immédiatement sur les travailleurs urbains informels. Ces travailleurs du « segment manquant » sont privés de protection parce qu’ils ne sont pas assez pauvres pour bénéficier des filets sociaux et pas assez riches non plus pour être couverts par les programmes d’assurance sociale obligatoires du secteur formel. Ce défaut de protection appelle à redoubler d’efforts pour déployer de nouveaux instruments capables de les aider à traverser les crises. Faute de pouvoir protéger ces travailleurs, qui jouent un rôle clé dans l’économie, le bien-être des ménages mais aussi la rapidité du redressement s’en trouveront affectés.

Quelles stratégies adopter ? 

L’extension de la protection sociale au secteur informel exige d’innover et de prendre en compte les caractéristiques de ces travailleurs, dont l’activité est irrégulière et relativement peu rémunératrice et qui ont besoin d’avoir facilement accès à des fonds. Un système permettant à la fois de se constituer une épargne de court terme, dans laquelle puiser en cas d’inactivité, et une épargne de plus long terme, pour les vieux jours, semble particulièrement adapté. En échange d’une contribution financière, les travailleurs seraient couverts par une nouvelle forme d’assurance sociale. Ces dispositifs pourraient par ailleurs aller de pair avec des incitations financières ou comportementales encourageant l’épargne systématique. Et, avantage supplémentaire, ils favoriseraient l’inclusion financière en inculquant à ces populations une culture de l’épargne. Conscients de la nécessité d’étendre la protection sociale, certains pays de la région mettent déjà en place de tels plans : c’est le cas des programmes Haba Haba et Mbao au Kenya, du dispositif Ejo Heza LTSS au Rwanda, du plan de micro-retraite au Nigéria et du projet ECIS en Zambie.

Mais ces nouveaux dispositifs sont loin d’avoir l’envergure suffisante pour être viables. Des incitations financières ciblées, à l’image d’apports budgétaires équivalents aux apports des travailleurs, pourraient y contribuer. La participation de travailleurs informels relativement mieux lotis pourrait également être encouragée à travers des actions de sensibilisation, des incitations non monétaires et le recours aux technologies numériques afin d’améliorer leur expérience utilisateur et de tisser des relations de confiance (accès en temps réel au solde, versement d’argent en un clic, etc.).

Les plateformes sous-tendant ces programmes devront être compatibles avec les registres sociaux, pour pouvoir évaluer la vulnérabilité des participants et leur éligibilité à des coups de pouce fiscaux. En période de crise, les gouvernements pourraient ainsi décaisser rapidement une aide en faveur des travailleurs de l’économie informelle vulnérables.  D’autant que ces programmes pourraient améliorer l’efficacité et, en garantissant la portabilité des droits, favoriser la mobilité des travailleurs. À condition de reposer sur des systèmes solides d’identification que plusieurs pays sont en train de mettre en place avec le soutien de la Banque mondiale. C’est le cas par exemple du Programme d’identification unique pour l’intégration régionale et l’inclusion en Afrique de l’Ouest (WURI), qui a lancé le Mission Billion Challenge (a) dans le but de concevoir des solutions techniques fondées sur le respect de l’utilisateur et capables de faire monter en puissance ces dispositifs de protection sociale.

À court terme, les pays d’Afrique doivent s’assurer que les travailleurs comme Samuel reçoivent bien l’aide dont ils ont besoin pour surmonter le choc provoqué par la pandémie. La crise n’est pas finie, mais les gouvernements doivent déjà se projeter à moyen terme pour offrir une couverture aux travailleurs du segment manquant et renforcer leur résilience — en introduisant progressivement de nouvelles formes d’assurance sociale adaptées au secteur informel.

Cet article a été publié initialement sur le blog de la Banque mondiale. 

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