Atténuation des risques et transferts de fonds : démystifier la notion de "transaction sous-jacente"
Ce samedi 16 juin marque la Journée internationale des envois de fonds familiaux, qui vise à reconnaître « l’importance des contributions financières des travailleurs migrants pour le bien-être de leur famille et pour le développement durable dans leur pays d’origine ».
C’est pourquoi nous avons choisi cette date pour évoquer une tendance qui touche de front les prestataires de services auxquels les migrants font appel pour transférer de l’argent dans leur pays d’origine.
Depuis quelques années en effet, les services internationaux de transferts de fonds succombent au phénomène d’atténuation du risque (ou de-risking en anglais).
Depuis quelques années en effet, les services internationaux de transferts de fonds succombent au phénomène d’atténuation du risque (ou de-risking en anglais). Aux yeux des banques, les règles et mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme rendent aujourd’hui trop risquées les opérations avec des organismes de transfert de fonds, tant du point de vue du droit et de leur réputation. La rentabilité de ces opérations est insuffisante pour justifier tous les efforts que les banques consentent afin de gérer ces risques accrus.
Certains établissements bancaires et experts du secteur s’alarment régulièrement du manque de visibilité sur la régularité des « transactions sous-jacentes ». Les organismes de transfert de fonds collectent des sommes d’argent auprès de leurs clients qui sont ensuite transférées par lots, via leurs comptes en banque, à leurs agents dans les pays concernés, où l’argent est remis à son destinataire. Mais, et c’est l’argument qu’elles font valoir, comme les banques n’ont aucune information sur les transactions individuelles, elles ne peuvent pas garantir que cet argent qui transite par leur biais n’est ni sale ni destiné à financer des activités criminelles.
Or, la notion même de « transactions sous-jacentes » est biaisée.
Elle part du principe qu’il existe une correspondance entre un ensemble défini d’opérations d’envois de fonds par des individus et le transfert global, par l’organisme choisi, de toutes ces transactions individuelles sur un compte spécifique.
Dans la plupart des cas, le réseau des organismes de transfert de fonds est plus complexe que cela.
À quelques exceptions près (celui des « spécialistes » qui couvrent un seul corridor ou région), ils sont en contact avec de nombreux correspondants locaux pour envoyer et recevoir les fonds. Ceux qui ont une envergure mondiale peuvent intervenir pratiquement n’importe où, profitant ainsi parfois d’un marché à la fois émetteur et récepteur de fonds. De plus, la plupart d’entre eux travaillent avec un certain nombre de devises, qu’ils vendent ou achètent selon les besoins.
L’argent a ceci de caractéristique qu’il est fongible : contrairement à une voiture ou un meuble, il peut faire l’objet d’une compensation. En fin de journée, n’importe quel organisme de transfert de fonds digne de ce nom n’effectuera pas d’opération globale correspondant à la totalité des sommes collectées ce jour-là dans le pays A vers le pays B ; et il ne renverra pas non plus du pays B au pays A les sommes reçues dans ce but. Il va au contraire calculer sa position nette dans chacun des pays couverts et effectuer le minimum possible de transferts bancaires internationaux pour effectuer les transactions nécessaires.
Sur le terrain, les organismes peuvent aussi avoir des agents principaux qui sous-traitent à d’autres agents pour disposer d’un réseau aussi vaste que possible sur le territoire concerné. Dans ce schéma, les agents principaux vont également compenser les transactions traitées dans leur réseau, ajoutant ainsi un échelon supplémentaire entre la transaction individuelle de départ et l’opération traitée par la banque.
En théorie, ces procédures rompent le lien entre le dépôt initial de fonds et les transferts bancaires effectués par les organismes.
C’est encore plus évident si l’on comprend que certains transferts bancaires réalisés par les organismes peuvent intervenir avant même que la transaction initiale n’ait lieu. Il peut arriver en effet qu’un organisme abonde de manière anticipée les comptes bancaires de ses agents dans le pays destinataire afin d’absorber un risque de liquidité — une démarche éventuellement imposée par le régulateur ou découlant d’un accord entre l’organisme et ses agents.
C’est pour toutes ces raisons que les arguments brandis par les banques sur le manque de visibilité des transactions sous-jacentes doivent être rejetés. Il faudrait au contraire imposer aux banques de veiller à ce que les organismes aient mis en place des systèmes efficaces de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ce qui limiterait les risques.
L’organisme de transfert de fonds étant un client de la banque, c’est à la banque d’appliquer les procédures de vigilance habituelles pour s’assurer de l’intégrité des opérations que ce dernier effectue et vérifier qu’il ne transfère pas d’argent à des individus ou des entités figurant sur des listes noires.
La banque n’a pas à se soucier de la transaction initiale faite par un individu ni en être tenue responsable. Car il n’y a, en théorie, aucune correspondance entre les transferts bancaires effectués par les organismes dans le but de compenser leurs positions et les envois de fonds par un individu. C’est aux organismes de transfert de fonds qu’il incombe de prendre toutes les dispositions requises et de veiller à ce que leurs réseaux ne soient pas exploités à des fins de blanchiment ou de financement du terrorisme.
Ce blog a été initialement publié sur le site de la Banque mondiale.