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Les 5 grands obstacles à l’inclusion financière des femmes

Couturière dans un village du Zimbabwe. Photo de Brandon Smith. Concours photos du CGAP 2016.

Quelques chiffres pour donner une idée de l’ampleur du défi : près d’une femme sur trois dans le monde (soit 1,1 milliard de personnes) est exclue du système financier formel ; la probabilité qu’une femme dispose d’un simple compte courant est de 7 % inférieure (a) à celle d'un homme, et cet écart est encore plus grand chez les pauvres puisqu’il atteint 28 % parmi celles qui vivent avec moins de 2 dollars par jour (a). Ces femmes sont souvent contraintes de conserver leur argent en liquide et de recourir à leurs réseaux personnels ou à des usuriers pour faire face à leurs besoins financiers les plus essentiels. Une situation qui les fragilise et les expose à des risques de perte, de vol et d’exploitation, et qui vient perpétuer le cycle de la pauvreté.

Face à un phénomène d’exclusion généralisée, il apparaît évident que, pour pouvoir atteindre l’objectif d’universalisation de l’accès aux services financiers, nous devons nous préoccuper en priorité des femmes. Mais la tâche n’est pas aisée : l’élargissement de l’accès des femmes aux services financiers pose des difficultés singulières auxquelles bailleurs de fonds et professionnels du développement doivent réfléchir.

Il est plus difficile de repérer les femmes exclues du système financier. Les enquêtes auprès des ménages coûtent cher et prennent beaucoup de temps, mais il n’existe pas d’autre façon d’identifier les personnes qui ne sont pas bancarisées. Les banques peuvent certes sonder leurs clients et étudier leurs transactions, mais ces exercices se limitent par définition aux personnes qui ont déjà accès au système financier. Les femmes sont défavorisées sur le plan de l’accès à l’information, en ce qu’elles évoluent dans des cercles plus réduits et moins divers et que, au sein de ces réseaux, il est moins probable que des personnes les recommandent auprès des banques.

Il est plus difficile de toucher les femmes par le biais des circuits qui ciblent habituellement les hommes, à savoir notamment les paiements de salaires, les transferts d’argent et les comptes d’épargne. Dans la région de l’Europe orientale et de l’Asie centrale, par exemple, 18 % des femmes seulement indiquent recevoir leur salaire sur un compte bancaire. Et, même avec l’essor des systèmes de paiement numériques, 29 % des femmes seulement déclarent avoir perçu leur salaire sur un compte au cours de l’année écoulée, contre 49 % chez les hommes. En Asie du Sud, les hommes sont relativement deux fois plus nombreux que les femmes à avoir envoyé de l’argent au cours de l’année écoulée, et la probabilité qu’ils aient reçu des envois de fonds est supérieure de 6 % à celle observée chez les femmes. Il existe toutefois un circuit prometteur : c’est celui des transferts publics aux particuliers, où, selon les données Findex (a), on observe des taux similaires chez les hommes et chez les femmes.

Les prestataires de services financiers sont moins enclins à s’adresser à une clientèle féminine parce que leurs marges sont moins importantes sur ce segment de population et que celui-ci requiert des investissements plus élevés au départ. Il est en effet plus difficile de réduire les coûts de transaction pour les petits comptes. En outre, les femmes préfèrent souvent les produits informels (a), en particulier en ce qui concerne l’épargne, et, aller à leur rencontre implique des coûts plus importants ; les banques doivent investir davantage pour familiariser les femmes aux produits formels et influencer ceux vers lesquels elles se tournent en quête de conseils et d’encouragements : maris, amis, chefs communautaires… Il est fréquent que les banques qui sont parvenues à prêter de l’argent à des PME dirigées par des femmes proposent aussi des services non financiers (a), tels que des formations aux fonctions de direction.

Les normes sociales limitent la demande féminine de services financiers. Souvent, les femmes ne sont pas supposées acquérir une indépendance financière et on ne les encourage pas dans ce sens. Parfois, elles ont tout simplement des difficultés pour se déplacer jusqu’à un établissement financier : le rapport sur Les femmes, l’entreprise et le droit dénombre 17 pays (a) dans le monde où les maris ont le pouvoir de restreindre la mobilité de leur femme en dehors du foyer familial. Il arrive même que les femmes ne servent que d’« instrument de transfert » pour des produits financiers destinés en réalité aux hommes, ce qui contribue à fausser encore davantage la demande. Une étude réalisée par Natalia Rigol (université Harvard) a ainsi montré que les femmes entrepreneurs détournaient souvent les fonds destinés à leur propre entreprise au profit des activités dirigées par les hommes de leur famille.

Les femmes ont moins accès à la technologie. Alors que l’on nous prédit que la téléphonie mobile va changer la donne et révolutionner les chiffres de l’inclusion financière, les disparités entre les hommes et les femmes risquent encore de s’accentuer si celles-ci ne font pas l’objet d’une attention spécifique. Selon les estimations de la GSMA, il y a un écart de 200 millions (a) entre le nombre d’hommes et de femmes qui possèdent un téléphone portable dans l’ensemble des pays à revenu faible et intermédiaire. En Inde, où les autorités intensifient leurs efforts pour promouvoir la finance numérique (a), la probabilité qu’une femme possède un téléphone portable est de 36 % inférieure à celle d’un homme.

L’importance que revêt l’accès des femmes aux services financiers ne se limite pas au seul enjeu de l’inclusion financière. Une étude de David Cuberes et Marc Teignier montre par exemple les effets sur le revenu des disparités entre les hommes et les femmes dans les secteurs de l’entrepreneuriat et de l’emploi, et évalue cet impact à une perte de 38 % au Moyen-Orient et Afrique du Nord, de 25 % en Asie du Sud et de 17,3 % dans la région Amérique latine et Caraïbes. Parce qu’elle constitue un facteur propice à l’emploi et à l’esprit d’entreprise ainsi qu’à l’éducation, l’inclusion financière sous-tend en effet des grandeurs économiques telles que le revenu.

Afin de rassembler des professionnels du développement, des experts et des responsables publics autour de ces questions, le CGAP a récemment mis en place une communauté de pratiques (a) : l’objectif est de favoriser les échanges sur les programmes fructueux qui pourraient être reproduits ailleurs et développés à grande échelle, et de mettre en évidence des obstacles communs qui pourraient être surmontés collectivement. Par ailleurs, à l’occasion du forum sur l’autonomisation économique des femmes qui se tiendra à Bangkok au mois de mai prochain, un appel à propositions a été lancé pour les sessions qui concerneront le programme consacré à l’inclusion financière.

Si la communauté du développement met de plus en plus l’accent sur la nécessité d’améliorer la situation des femmes, c’est parce qu’il est désormais évident que l’on ne pourra pas obtenir des avancées significatives sur la réduction de la pauvreté et le partage de la prospérité sans cibler ce large segment de la société, et que le marché féminin est un gisement de productivité et de croissance économique. Mais on n’améliorera pas l’inclusion des femmes sans s’unir et surmonter, ensemble, ces défis.

Ce blog a été initiallement publié (en anglais) sur le site du CGAP en février 2017.

Pour en savoir davantage sur l'inclusion financière des femmes, consulter le thème "Genre et empowerment" du Portail.

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TOU DJAKARIA , Burkina Faso
23 mars 2021

Très enrichissant !

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