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Que savez-vous de l’action de l’Union européenne en microfinance ?

Entretien avec 3 responsables du secteur au niveau de l’UE
Quel est le montant d’aide à la microfinance consenti par l’Union européenne ? Quelle est son approche pour appuyer ce secteur, quels sont les instruments et les acteurs de la mise en œuvre de sa stratégie ?... Pour vous donner une image concrète de l’action de l’UE en microfinance, Le Portail a interrogé trois responsables sur les principes, moyens et résultats de ses interventions dans ce domaine, en particulier ceux du Programme de microfinance UE-ACP. Merci à eux pour leur contribution.
 
Mathilde Gaston-Mathé est Responsable de la communication du Programme Microfinance UE/ACP, Emmanuel Moyart est le Coordinateur du Programme et Stefaan Pauwels le Point Focal Microfinance de Devco/EuropeAid (Direction du Développement et de la Coopération de la CE).
 
Combien « pèse » la microfinance dans l’aide au développement mise en œuvre par l’UE ?
 
SP : En 2010, plus de 60 millions ont été utilisés pour des actions de soutien de la microfinance, sur les 10 milliards € d’aide publique au développement de la CE (soit 0,6% environ). Cela représente un portefeuille de plus de 200 projets dans environ 80 pays. 
 
Quels sont les grands axes d’action et les principaux moyens/instruments de l’UE en la matière ?
 
SP : Fin 2011, la Commission a présenté son « Programme pour le Changement » et les grandes orientations stratégiques de sa politique d'aide au développement pour les années à venir. L’un des piliers est l'appui à une croissance inclusive et durable, avec une grande attention portée au développement du secteur privé, à la participation des plus démunis à la croissance et au respect de l’environnement. 
 
La microfinance a clairement un rôle à jouer dans cette perspective. C'est un outil qui permet la promotion d’un développement à la fois économique (par exemple dans le cadre des chaines de valeurs agricoles) et social (par exemple en permettant d'absorber les fluctuations dans les revenus et dépenses des familles). L’accent est mis sur le soutien aux microentrepreneurs et aux petits exploitants. Dans nos interventions, nous essayons de nous concentrer sur les clients et de cibler nos actions (en général une combinaison de services financiers et non-financiers), en fonction de leurs besoins et de leurs plans de développement.
 
En ce qui concerne les instruments employés, les actions de la Commission sont exclusivement  mises en œuvre par le biais de subventions. Ses interventions prennent en général la forme d’une assistance technique pour le renforcement des capacités de l’ensemble des acteurs concernés, des superviseurs financiers aux clients eux-mêmes, en passant par des organisations professionnelles ou des institutions de microfinance (IMF). Cette approche permet à l'UE de prendre des risques, d’accompagner, par le biais de subventions, des projets innovants qui ont pour but le développement humain et économique. Dans les années à venir, l'UE souhaite collaborer davantage avec les autres IFD (Institutions Financières du Développement), pour générer un impact plus important en termes de développement.
 
Comment se fait la coordination avec les autres bailleurs de la microfinance dans un même pays ou une même région ?
 
SP : La coordination avec les autres bailleurs du développement est un souci permanent de l'UE, signataire de la Déclaration de Paris pour un meilleur suivi et une harmonisation des actions de développement. La majorité des programmes d'aide sont initiés et gérés par les délégations dans les pays partenaires et la coordination entre bailleurs de fonds est l’une des tâches essentielles des délégations locales. Le Programme cadre UE-ACP intègre d’ailleurs tout à fait cette dimension, puisqu’il cofinance des projets entrepris par d’autres grands bailleurs internationaux.
 
Qu’est-ce que le Programme de microfinance UE-ACP ?
 
MGM : C’est un programme conjoint de l’UE et du Secrétariat des pays membres du Groupe ACP. La coopération entre l’Union Européenne et le Groupe des Etats Membres des pays ACP remonte aux années 1970 et son principal outil de financement est le Fonds Européen de Développement (FED). 
 
Les ACP recouvrent près de 800 millions d’habitants, sur 79 pays et 3 continents. 39 de ces 79 pays figurent parmi les Pays les Moins Avancés (PMA) de l’ONU, et  l’on estime que plus de 70% de la population adulte n’a toujours pas de compte chez un fournisseur de services financiers. 
 
L’UE (en tant que financeur par le biais du FED) et le Secrétariat ACP (en tant que commanditaire) participent au développement de la microfinance dans les pays ACP depuis 2005.Le premier programme cadre a couru entre 2005 et 2010. Le second, ACP/EU MICROFINANCE, a pris sa suite en janvier 2010 et prendra fin le 31 décembre 2014.
 
EM : Ce programme de 15 millions € sur 5 ans, est à la Commission, le seul qui soit exclusivement dédié à la microfinance.
 
Qui sont les acteurs de sa mise en œuvre ?
 
EM : Un programme ayant un éventail d’interventions aussi vaste que le nôtre fait appel à de nombreux acteurs : Organisations internationales, Ministères et Banques centrales, ONG européennes, coopératives, caisses villageoises ou associations professionnelles, fournisseurs de services techniques, centres de recherche, universités… 
 
MGM : Tous les acteurs de la mise en œuvre d’ACP/EU MICROFINANCE sont des professionnels de la microfinance ou de l’inclusion financière des pays membres de l’UE ou du Groupe ACP, même si elles ne sont pas leur unique activité. 
 
Quels sont les principaux résultats de la phase I et ses enseignements ?
 
EM : Il est toujours délicat de donner des chiffres concernant l’impact exact d’un Programme d’assistance technique en microfinance. Mais étant donné son objectif de renforcement des capacités des acteurs de la microfinance, on peut notamment mentionner que 40 IMF ont bénéficié de programmes d’assistance technique et enregistré une augmentation de leur clientèle de 150%  à l’issue du Programme. 90 IMF ont bénéficié de ratings et 20 de conseil en systèmes d’information et de gestion (SIG), 50 décideurs de politique de microfinance ont été formés à Boulder... 
 
Avec près de 100 projets reçus lors de l’appel à propositions en 2005, le Programme a mis en lumière une demande forte de la part des professionnels de la microfinance(on en enregistrera 224 lors de l’appel à propositions du second Programme, en 2011). 
 
Par ailleurs, et malgré un budget relativement restreint, le Programme a permis la mise en place d’actions touchant l’ensemble des acteurs de la microfinance (clients, IMF, organisations professionnelles, superviseurs et régulateurs), dans les 3 zones géographiques concernées, et ce notamment grâce à ses partenaires internationaux. 
 
Enfin, il a permis d’innover, notamment par la mise en place d’indicateurs de performance dont dépendaient les versements des échéances de la subvention, ou en imaginant une action ad hoc d’éducation financière à destination de journalistes de pays ACP. À ce titre, l’un des principaux regrets lors du premier programme concernait le manque de moyens et donc d’actions de communication et de partage des savoirs.
 
Quelles sont les principales différences d’objectifs et de moyens de la phase II par rapport à la précédente ?
 
MGM : À bien des égards, ACP/EU MICROFINANCE s’inscrit dans la lignée de son prédécesseur : en termes de durée (5 ans), de budget (15 millions €) et de modes d’intervention (appel à propositions, d’une part, accords de contribution d’autre part). 
 
Les différences principales entre les deux programmes sont liées à un contexte économique et à un environnement général bouleversé par la crise de croissance de la microfinance depuis 2009, et par les enseignements du premier programme : alors que celui-ci était clairement orienté vers le renforcement des capacités des acteurs de la microfinance (l’offre), le second est centré sur les bénéficiaires finaux (la demande) et en particulier sur les besoins des populations peu ou pas servies par les institutions de microfinance. Par ailleurs, une attention toute particulière est portée à la visibilité des actions mises en œuvre, au partage d’expérience et à la création de savoirs.
 
Pouvez-vous nous donner un ou deux exemples concrets d’actions en cours ?
 
EM : Pour ne citer que quelques exemples, PFIP (Pacific Financial Inclusion Program), le programme du PNUD FENU soutenu par ACP/EU MICROFINANCE dans le Pacifique, a tout récemment permis le lancement d’un produit innovant de microassurance à Fidji. Ainsi, une communauté de 40 villages d’une petite île de l’archipel pourra désormais bénéficier d’un produit de microassurance « funérailles », pour couvrir les frais importants et souvent inattendus liés au décès d’un membre de la famille. Pour 14 $ par an, la famille de l’assuré recevra 1 000 à 2 000 $ en cas de décès. 
 
À un tout autre niveau : avec la formation en microfinance Boulder, et grâce à son partenariat avec le CIF OIT, ACP/EU MICROFINANCE permettra, cet été encore, de former une vingtaine de décideurs de politiques de microfinance de pays ACP, afin de favoriser la mise en place de cadres légaux favorables au bon développement du secteur dans les pays ACP.
 
MGM : N’oublions pas qu’ACP/EU MICROFINANCE ne fait que commencer… les actions mises en œuvre dans le cadre de l’appel à propositions, dont les résultats seront communiqués dans les semaines à venir, iront toutes dans le sens d’une offre de services inclusive et responsable.
 
Quelle est pour vous la place (et/ou le rôle) des bailleurs de fonds de l’aide internationale dans le secteur de la microfinance d’aujourd’hui ?
 
MGM : Une des raisons de la crise de croissance qu’a traversée la microfinance est l’afflux important de capitaux vers un nombre trop restreint d’IMF et pour des projets trop systématiquement liés au renforcement de l’offre, au détriment de la demande d’une part, des institutions d’appui et de règlementation du secteur et du cadre politique d’autre part. 
 
EM : Il semble aujourd’hui que le rôle des bailleurs de fonds de l’aide internationale doit être d’accompagner l’éclosion d’une microfinance responsable, tournée vers les besoins de ses bénéficiaires, dans une perspective de croissance durable.
 
Comment bénéficier des subventions de la Commission européenne pour les acteurs de la microfinance ?
 
SP : Les professionnels de la microfinance qui souhaitent bénéficier de subventions de la Commission peuvent en faire la demande par le biais des appels à propositions :
  • des délégations de l’UE, dans le cadre de programmes thématiques comme « Sécurité Alimentaire » ou « Acteurs non étatiques », qui peuvent inclure des actions de soutien à la  microfinance,
  • du Programme cadre UE-ACP, mentionné plus haut, exclusivement dédié au développement de la microfinance dans les pays ACP (dont l’appel est terminé pour le Programme en cours).

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