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Les nouveaux contours de la micro-assurance : quelle place pour les IMF ?

Zoom sur l’offre de micro-assurance par les IMF en Afrique francophone
« La micro-assurance se développe à un rythme impressionnant ». C’est le premier constat de C. Churchill et M. McCord qui parlent d’une « hausse spectaculaire du nombre de clients assurés » en préambule de leur état des lieux du secteur dans le tout nouveau Microinsurance Compendium (Guide de la micro-assurance), publié par le BIT et la Fondation Munich Re. Cette sortie est l’occasion de s’intéresser aux nouvelles tendances de la micro-assurance, de faire le point sur la place qu’occupent les IMF dans l’actuel paysage et sur la situation spécifique de l’Afrique francophone, décrite dans l’Etude sur la micro-assurance dans la zone CIMA de DID.
 
Nouvelles tendances : croissance massive et diversité accrue
Hausse marquée du nombre d’assurés et disparités régionales
 
Le nombre de personnes à faible revenu couvertes par la micro-assurance est aujourd’hui estimé à 500 millions, contre 135 millions en 2009 (en prenant toutefois en compte le fait que le chiffre initial n’incluait pas certains marchés importants de micro-assurance).
 
Ce chiffre cache une forte disparité régionale : l’Asie est le véritable fer de lance du développement de la micro-assurance. D’après les auteurs du Compendium, environ 60% des individus couverts vivraient en Inde. Le Bangladesh, le Pakistan et les Philippines connaissent une croissance soutenue et d’autre pays comme le Cambodge, l’Indonésie et le Sri Lanka, nouveaux dans ce secteur, ont déjà atteint une portée significative.
 
En Afrique, le nombre d’individus couverts par la micro-assurance était estimé à 14,7 millions en 2009, dont 8,2 millions en Afrique du Sud (The Landscape of Microinsurance in Africa, BIT, 2010). En dehors de ce pays, la croissance a atteint près de 13 % par an, essentiellement grâce au développement de la couverture vie en Afrique de l’Est. Bien que le nombre total de clients sur le continent ne dépasse probablement pas les 25 millions, la micro-assurance décolle véritablement dans plusieurs pays, dont l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya et le Zimbabwe, grâce à l’effet combiné d’innovations réglementaires et technologiques.
 
Les auteurs attribuent cette croissance exponentielle de la micro-assurance dans le monde à cinq facteurs principaux :
  • le soutien des pouvoirs publics, notamment en Asie, par deux biais : utilisation de la micro-assurance pour étendre la protection sociale aux travailleurs informels et création d’un environnement de marché propice ;
  • la souscription automatique (ou couverture obligatoire), les polices collectives permettant d’atteindre une échelle suffisante et de réduire l’anti-sélection ;
  • l’efficacité des systèmes de paiement, avec le développement de systèmes à distance facilitant la collecte des primes ;
  • l’effet d’entrainement et la réplication des succès des assureurs et courtiers internationaux ;
  • l’amélioration progressive de la qualité des services.
Des acteurs et des produits plus diversifiés
 
Si elles furent un temps qualifiées de « canaux de distribution alternatifs », les IMF sont depuis un moment considérées comme des distributeurs communs de micro-assurance. Dans la 1ère édition du Guide de la micro-assurance, les exemples d’expériences impliquant un système mutuel communautaire ou des partenariats entre des compagnies d’assurance et des IMF étaient prépondérants. Ces dispositifs représentent toujours une part conséquente des services de micro-assurance, mais ils sont rattrapés par d’autres types d’accords institutionnels, dont les partenariats public-privé et les nouveaux canaux de distribution alternatifs. 
 
Etant donné que les IMF ne couvrent qu’une petite partie du marché potentiel de la micro-assurance, les assureurs ont en effet testé ces dernières années une variété de canaux : entreprises de service public et de télécommunications, bureaux de poste, gestionnaires de paiement, commerçants…. L’essor de la téléphonie mobile comme moyen de distribution et support de service en micro-assurance est également une tendance majeure.
 
Au niveau des porteurs de risques, l’évolution est marquée par la déferlante d’assureurs commerciaux sur les segments à faibles revenus, qui permet de multiplier les capacités d’échelle. Enfin, d’autres acteurs clés jouant un rôle de facilitation contribuent au succès de la micro-assurance : les promoteurs du renforcement des capacités (prestataires d’assistance technique et experts), les spécialistes opérationnels (courtiers de micro-assurance, administrateurs tiers spécialisés) et les financeurs (bailleurs de fonds, sociétés d’assurance et investisseurs).
 
Les ménages à faibles revenus ont aussi accès à une plus grande variété de produits, avec pour certains une amélioration de la valeur offerte au client. Les produits de base comme l’assurance emprunteur ou funérailles ont commencé à évoluer pour offrir par exemple un plus grand nombre de prestations, afin d’aider les ménages à mieux faire face à la disparition d’un soutien de famille. Les produits santé ne se contentent plus de couvrir les frais hospitaliers de base, mais offrent désormais des prestations « sans avance d’argent ». Les assurances collectives, souvent obligatoires, représentent probablement toujours le type de micro-assurance le plus répandu, mais on expérimente de plus en plus l’assurance collective volontaire et même les couvertures individuelles volontaires.
 
L’assurance emprunteur : peut mieux faire ?
 
Le produit de micro-assurance qui touche le plus grand nombre de personnes en Afrique – 7 millions – est une assurance décès de l’emprunteur, dont la souscription est généralement requise lors de l’octroi d’un microcrédit. L’assurance emprunteur (également appelée assurance crédit ou crédit-vie) couvre le capital et les intérêts restants dus du prêt de la personne assurée en cas de décès.
 
Les emprunteurs perçoivent souvent ce produit d’assurance comme protégeant le prêteur plutôt qu’eux-mêmes. Pour comprendre pourquoi, il est intéressant de regarder comment les IMF gèrent les impayés dus au décès d’un emprunteur : du fait de la très mauvaise image qui résulterait du recouvrement d’un prêt à partir des biens d’une personne décédée, beaucoup d’IMF passent tout simplement cette créance en perte. Ce qui explique pourquoi les clients ne voient guère de valeur ajoutée pour eux dans ce produit.
 
De fait, on constate que ce produit est souvent conçu a minima et apporte peu aux bénéficiaires. Or il y a un vrai enjeu à étendre les bénéfices pour les assurés, à la fois du point de vue du prêteur pour s’initier à l’assurance, dans la perspective éventuelle d’ajouter d’autres produits par la suite, et pour les emprunteurs, mieux protégés et acquérant par là une première culture de l’assurance et une sensibilisation aux produits d’assurance en général. Pour les auteurs du Microinsurance Compendium, « l’assurance emprunteur doit être un début, et non une fin en soi ».
 
Trois couvertures améliorées peuvent être proposées :
  • la couverture vie améliorée : elle propose des prestations complémentaires liées au décès, comme le paiement des frais d'obsèques. 
  • la couverture risque améliorée : elle propose des prestations complémentaires liées aux risques, comme la couverture invalidité pour l'emprunteur, une clause individuelle accident ou une couverture incendie pour les locaux commerciaux. 
  • la couverture familiale : elle permet d’étendre la couverture décès ou invalidité aux membres de la famille de l’emprunteur.
Pour en savoir plus : Améliorer la micro-assurance emprunteur, Briefing Note 8, MIF/BIT, 2011
 
Zoom sur l’offre de micro-assurance via les IMF en Afrique francophone
Une étude sur la micro-assurance dans la zone CIMA* a été publiée mi-2011 par DID. Environ 90% de la population des pays d’Afrique francophone est sans couverture sociale permettant de se prémunir contre les aléas de la vie. En ce qui concerne l’assurance santé, moins de 3% de la population est couverte par un régime proposé par les assureurs.
 
Les mutuelles de santé, si elles constituent l’une des formes les plus répandues de micro-assurance, obtiennent de faibles taux d’adhésion. Ceux-ci ne progressent quasiment pas, notamment en raison de l’incapacité des populations pauvres à payer, de leur méfiance alimentée par les cas d’illiquidité de mutuelles incapables de faire face au versement des prestations, et de leur mauvaise gestion.
 
L’étude démontre globalement une méfiance de la population envers les compagnies d’assurance, découlant essentiellement des délais de règlement des prestations.
 
*Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance : organe intégré de l’industrie des assurances dans 14 pays d’Afrique francophone (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, Guinée Équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo)
 
Implication des assureurs
 
Plusieurs assureurs proposent de la micro-assurance sous la forme d’une assurance emprunteur distribuée en partenariat avec des banques et des IMF. Mais en dehors de ce produit, très peu d’assureurs ont pour le moment expérimenté la micro-assurance. Des expériences d’offre d’assurance santé facultative ont été tentées avec certaines IMF, mais sans résultats concluants. Ces échecs seraient dus au fait que les IMF privilégiaient la vente de leurs propres produits au détriment des produits d’assurance.
 
Quelques projets de micro-assurance impliquant des assureurs ont toutefois été répertoriés par les auteurs de l’étude DID, comme le projet de micro-assurance santé en cours au Sénégal mobilisant la participation de 6 assureurs, l’assistance technique du CIDR et le soutien financier de l’AFD et faisant appel à des IMF comme distributeurs.
 
Montages institutionnels possibles
 
On peut distinguer deux approches d’offre d’assurance par les IMF :
  • l’approche « contractualiste », qui met en jeu des acteurs indépendants :
  • partenariats égalitaires entre des IMF et des prestataires légalement autorisés à fournir des prestations de (micro-)assurance ; ou
  • distribution de produits d’assurance par une IMF pour le compte d’une compagnie d’assurance agréée.
  • l’approche « intégrée », qui vise au contrôle de l’outil assurantiel par l’IMF :
  • gestion de l’activité d’assurance par l’IMF sous la forme d’une fonds de garantie interne ; ou
  • création d’une compagnie de (micro-)assurance filiale de l’IMF, l’illustration type étant la création par des réseaux mutualistes d’une compagnie d’assurance filiale de la structure faitière.
Pour en savoir plus : Précis de réglementation de la microfinance, L. Lhériau, 2009, p. 330-337
 
Expériences de micro-assurance des IMF
 
Les IMF sont souvent reconnues comme précurseurs dans le secteur de la micro-assurance en Afrique francophone, les projets émanant soit des institutions elles-mêmes, soit d’autres acteurs intéressés à s’associer à elles pour bénéficier de leur proximité avec le marché ciblé.
 
L’étude cite quelques projets novateurs dans le domaine de la micro-assurance santé ou agricole :
  • au Sénégal, le réseau PAMECAS a créé une mutuelle de santé pour offrir un produit d’assurance santé adapté aux besoins de ses membres ;
  • au Bénin, la Mutuelle de Santé Sociale du Bénin a établi un partenariat avec des IMF en 2009 pour la distribution d’un produit de micro-assurance santé ;
  • au Cameroun,  le réseau CamCCUL, en collaboration avec l’assureur Activa et le projet SOWEDA, a développé un produit d’assurance agricole à destination des éleveurs ;
  • en Côte-d’Ivoire, le réseau UNACOOPEC a créé un fonds de prévoyance destiné à développer et gérer des produits de micro-assurance (un produit emprunteur et un produit obsèques sont proposés avec Allianz).
Toutefois la vente de produits à adhésion volontaire se heurte au manque de disponibilité des employés des IMF, ainsi qu’à la méfiance des populations en général. Le nombre d’assurés des quelques projets identifiés était encore très limité à la date de l’étude. L’assurance agricole indicielle, très expérimentée en Afrique de l’Est, semble n’avoir été que peu testée dans la zone francophone et reste largement méconnue.
 
Beaucoup d’IMF couvrent en revanche leurs emprunteurs contre les risques de décès et parfois d’invalidité, par le biais de partenariats avec des assureurs privés ou par la mise en place de fonds d’assurance internes au sein de réseaux, comme le réseau CamCCUL au Cameroun ou la CIF en Afrique de l’Ouest. L’adhésion obligatoire permet de réduire beaucoup le risque d’antisélection. 
 
Soulignons que l’assurance emprunteur implique par définition que les assurés aient un prêt, ce qui revient à éliminer ceux qui ne sont que simples épargnants, bien souvent les plus pauvres.
 
Le produit d’assurance crédit de la CIF
 
La Confédération des Institutions Financières (CIF) est le regroupement de six fédérations agréées de mutuelles d’épargne et de crédit d’Afrique de l’Ouest : RCPB (Burkina Faso), FÉCÉCAM (Bénin), FUCEC (Togo), KAFO JIGINEW (Mali), NYÈSIGISO (Mali) et PAMECAS (Sénégal). Ces réseaux servaient ensemble 2,8 millions de clients fin 2010, à travers environ 700 points de service.
 
La CIF et ses membres ont mis au point un produit d’assurance décès et invalidité des emprunteurs du réseau. Celui-ci, baptisé « Régime de Prévoyance Crédit » accorde une protection du solde du crédit et un capital décès ou invalidité permanente de 100 000 FCFA (150 EUR) pendant la durée du crédit. Il a couvert 620 000 emprunteurs entre 2007 et 2011, dont 172 000 en 2011. La CIF vise la mise en place d’une compagnie d’assurance, qui serait la propriété des réseaux, et dont la structuration est en cours. Celle-ci permettrait d’élargir l’offre à d’autres produits d’assurance.
 
L’étude retient les enseignements suivants :
  • rendre certains produits obligatoires permet d’augmenter le taux de participation et d’atteindre la masse critique nécessaire à la rentabilité pour l’assureur. Cette stratégie doit cependant être utilisée avec parcimonie et les membres doivent être bien informés de leur couverture au risque de susciter des déceptions ;
  • offrir l’assurance à un groupe plutôt qu’à des individus permet de réduire le risque d’antisélection ;
  • si les réseaux de microfinance sont aujourd’hui l’un des principaux canaux de distribution des produits de micro-assurance, ils montrent un intérêt limité lorsqu’il s’agit de distribuer des produits qui ne sont pas directement liés à leurs opérations et qui demandent par conséquent un effort de promotion.
Ce coup de projecteur a été réalisé à partir de :
 

 

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