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Protection des clients : de la théorie à la pratique

Zoom sur une étude analysant l’état des pratiques de protection de la clientèle des IMF
Des efforts en faveur de la protection des clients en microfinance sont menés depuis plusieurs années. Mais la croissance et la médiatisation de la microfinance, récemment secouée par des crises et des critiques parfois virulentes sur la réalité de son objectif social, auxquelles s’ajoute le contexte actuel de crise financière rendent aujourd’hui ce thème incontournable. La protection des clients gagne en audience parce qu’elle est portée par l’élan de promotion d’une « finance responsable », mais aussi parce qu’elle participe d’une idée qui fait son chemin dans le monde des entreprises : créer une valeur ajoutée pour la clientèle - c’est-à-dire tenir la promesse du bénéfice pour le client - aussi bien que pour les communautés et les actionnaires est le meilleur moyen de réussir et de durer. 
 
Le secteur de la microfinance a fait de grands pas sur cette question depuis 2 ou 3 ans. Sous l’impulsion d’initiatives internationales pluriacteurs au premier rang desquelles la Smart Campaign, un consensus est né sur les principes à appliquer et les critères à prendre en compte pour protéger les clients des services de microfinance. Toutes ces activités ont-elles débouché sur des changements concrets ? A quelles difficultés se heurtent les IMF qui s’efforcent de les prendre en compte dans leurs opérations quotidiennes et que nous apprennent-elles ? Une étude récente donne de premiers éléments.
 
Une première étude de la Smart Campaign sur l’état de la pratique
Un rapport de la Smart Campaign a récemment été publié (en anglais) sur l’état de la pratique en matière de mise en œuvre des principes de protection des clients. Il se fonde sur 3 types de données : (i) études de cas d’IMF ayant procédé à des améliorations suite à une évaluation de leurs pratiques par la Smart, (ii) données fournies par les IMF via les rapports de performance sociale communiqués au MIX ou le questionnaire de mise en route de la Smart, et (iii) données collectées par des tiers (479 ratings ou évaluations couvrant environ 300 IMF).
 
Différenciations par région, type et taille d’institution
De manière générale, il existe peu de différenciation dans la mise en application des principes de protection des clients entre les régions, à l’exception notable de l’Afrique sub-saharienne, dont les scores sont plus faibles pour la majorité des principes. Les scores diffèrent peu par type d’institution, sauf pour le principe de tarification responsable (voir le paragraphe qui s’y rapporte), mais varient davantage par taille d’institution. Les très petites IMF (actifs < 2 millions USD) affichent une relative faiblesse dans la mise en œuvre de la protection des clients. Il est trop tôt pour en tirer une conclusion. La corrélation avec l’échelle reste néanmoins limitée. Les IMF les plus grandes ne sont pas celles qui ont nécessairement les meilleurs scores.
 
Mise en œuvre principe par principe
  • Prévention du surendettement
La Smart Campaign décrit le surendettement comme l'incapacité à gérer le remboursement de la dette sans sacrifier les aspects élémentaires de la qualité de vie. L’IMF doit démontrer sa faculté à évaluer la capacité de remboursement du client, principalement à partir de ses revenus, de ses dépenses et du montant de son endettement. D'autres facteurs institutionnels sont également analysés (formation et système d’incitation des agents de crédit notamment).
 
Il faut noter que risque de surendettement et risque de crédit, bien qu’étroitement liés, sont différents. Un client surendetté peut encore être en mesure d'effectuer des remboursements en vendant des actifs, en renonçant à des dépenses essentielles d'alimentation ou en consentant d’autres sacrifices mettant à mal ses conditions de vie. 
 
Les mesures doivent être adaptées aux conditions particulières du marché ; certaines mesures efficaces contre le surendettement dans un contexte de faible concurrence seront insuffisantes sur un marché très concurrentiel caractérisé par l’endettement multiple. 
 
En Azerbaïdjan, AccessBank a mis en place un processus très approfondi d’évaluation de la capacité de remboursement du client et a centré son système de primes sur la qualité du portefeuille : pour chaque point de pourcentage d’impayés dans son portefeuille, un agent de crédit perd une part substantielle de son bonus, qui représente une proportion importante de sa rémunération globale.
 
Cela dit, une telle politique de qualité peut involontairement favoriser des pratiques de recouvrement agressives contraires au respect du client. Une solution consiste à distinguer le personnel responsable des évaluations des clients de celui chargé des recouvrements, chacun ayant ses propres incitations. 
 
Par ailleurs, il faut être conscient que les incitations fortes à la qualité du portefeuille ont tendance à produire un effet contraire sur la croissance et la productivité, car les méthodes d’évaluation approfondie sont très consommatrices de temps. 
 
Les clients ont clairement aussi une responsabilité de prudence lorsqu’ils empruntent, mais il faut pour cela un niveau d’information et de compréhension minimal. 
 
En Inde, Ujjivan a réalisé un film pédagogique traduit dans 12 langues régionales pour sensibiliser le public aux dangers des emprunts multiples. Il a été vu par plus d’1 million de personnes et a eu un impact très positif sur les clients.
  • Transparence
L'objectif principal de la transparence est de communiquer des informations sur les produits d'une manière qui permette aux clients de prendre des décisions éclairées. La composante de base de la transparence est l’affichage des prix : on étudie avec quel niveau de clarté le prestataire présente les taux d'intérêt, mais aussi les frais, commissions, obligations (telles que l'assurance) affectant le prix du produit, et dans quelle mesure les prix résultant peuvent être comparés avec ceux d’autres prêteurs. Garantir cette transparence implique également de savoir communiquer efficacement avec des clients non alphabétisés. 
 
Par ailleurs, l'engagement à la transparence ne s’arrête pas au décaissement du prêt ; il englobe par exemple la communication appropriée de relevés de compte et la réactivité aux demandes de vérification. Les IMF peuvent gagner à fournir des informations plus transparentes, car les clients préfèreront une information claire à un affichage obscur des conditions.
 
En Ouganda, où la non-transparence est la norme sur le marché de la microfinance, l’IMF Gatsby a développé une fiche, sur une simple page recto-verso, qui reproduit le calendrier de remboursement et reprend toutes les informations importantes sur le prêt, selon une mise en page claire et simple. Gatsby renforce ainsi la confiance de ses clients et s’assure un avantage par rapport à la concurrence.
 
Fournir une information complète, même claire, n’est pas toujours suffisant, car la tarification des produits financiers est en soi complexe. Récemment, l’initiative MF Transparency a développé des outils permettant aux prêteurs de calculer le prix de leurs produits à l’aide d’une méthodologie standard, permettant la comparaison par les clients.
  • Tarification responsable
Ce principe consiste pour les institutions financières à définir des tarifs et des conditions abordables pour les clients tout en répondant au besoin de pérenniser leur propre activité.
 
La tarification responsable est la catégorie qui affiche le score le plus bas dans l’étude. Les variations par institution et par taille sont assez importantes : les coopératives de crédit obtiennent un score nettement meilleur que les autres institutions, et les organisations de taille moyenne devancent à la fois les plus petites et les plus grandes.
 
Généralement, l’existence de prix élevés et de faibles ratios d’efficience sans facteur explicatif particulier (contexte rural très enclavé par exemple) suggère que l’IMF fait porter à ses clients la charge de son inefficacité. De même, la combinaison de tarifs élevés et d’un fort taux de rentabilité des actifs peut indiquer que l’institution génère des profits excessifs.
  • Traitement juste et respectueux des clients
Pour faire appliquer le principe de traitement juste des clients, il est essentiel qu’il soit internalisé dans la culture même de l’institution. Pour cela il faut que les cadres dirigeants portent ces valeurs d’équité et de respect, mais aussi que l’organisation définisse clairement dans les procédures destinées à son personnel quelles sont les actions non autorisées. Les comportements interdits doivent être punis par des sanctions allant jusqu’au licenciement.
 
Il est également important de mettre en place des mécanismes pour contrôler le comportement du personnel, notamment fournir à la clientèle les moyens de déposer des plaintes et autoriser les auditeurs internes à inclure l’évaluation des pratiques du personnel dans leur analyse. Naturellement, le traitement juste et respectueux des clients ne se résume pas à éviter des comportements négatifs. 
 
En Inde, Arohan a fait de la ponctualité absolue de ses agents un point fort pour se démarquer des concurrents et un signe visible de son respect des clients et de son professionnalisme. 
 
Les aspects les plus délicats du traitement des clients sont généralement liés au recouvrement des crédits. En la matière, il est intéressant de déterminer si l’institution dispose d’un mécanisme pour rééchelonner les prêts dans les cas où les clients sont confrontés à de graves difficultés financières qui rendent impossible le remboursement à l’échéance. Ce mécanisme ne doit pas être automatique et doit s’appuyer sur une évaluation au cas par cas.
 
L’IMF colombienne FFM Popayan a été confrontée à une situation difficile fin 2008. Les impayés étaient en augmentation, le personnel faisait état de difficultés grandissantes dans le recouvrement et l’institution recevait un nombre croissant de plaintes de clients ayant trait au comportement du personnel de recouvrement. Pour sortir de ce cercle vicieux, l’IMF a décidé de demander l’avis des clients. Et a ainsi fait des découvertes très utiles sur les pratiques considérées comme irrespectueuses : pas de recouvrement après la tombée de la nuit, pas de recouvrement en public des prêts en impayés, pas de textos personnels de la part des agents, etc. Toutes ces règles ont été consignées dans un manuel. L’amélioration de la qualité de la relation avec la clientèle s’est révélée plus efficace que les méthodes fortes.
 
La saisie des actifs en garantie peut s’avérer nécessaire, mais il est important que les prêteurs aient préalablement clairement défini quels actifs il est acceptable de saisir et ceux qui ne doivent pas l’être. Les actifs relevant des moyens d’existence du client ne devraient pas faire l’objet d’une saisie.
  • Confidentialité des données
Le cœur du principe de confidentialité est la reconnaissance que les données du client appartiennent au client et non à l'institution, et que l'utilisation abusive de ces données peut nuire aux clients. Le personnel comme les clients doivent savoir comment les données privées sont collectées et utilisées, et ces données doivent être protégées conformément aux exigences minimales du pays. 
 
En règle générale, les prêteurs doivent reconnaître que le partage des données des clients requiert le consentement préalable de ces derniers sur la base d’une information claire et compréhensible. Une exception notable à ce principe est la communication des données sur la solvabilité des clients aux centrales de risques, qui est souvent obligatoire. Dans ce cas, le partage fait l’objet d’une simple notification à la clientèle. 
 
Le reproche le plus fréquent concerne la tendance des IMF à reléguer les informations sur le partage des données privées dans des clauses jargonneuses intégrées dans de longs contrats de prêt qui ne sont pratiquement jamais lus, sans parler d’être compris, par les clients.
 
D'autres aspects de la sauvegarde des données du client relèvent de la sécurité informatique et du stockage sécurisé des données sur papier. Des pratiques telles que l’étude de dossiers clients à domicile constituent une violation de la confidentialité des données, même si elles procèdent de bonnes intentions. 
 
Le film pédagogique réalisé et diffusé par Ujjivan en Inde explique entre autres le concept de centrale des risques et sensibilise les clients à l’importance de se constituer un historique de crédit positif.
  • Mécanismes de traitement des plaintes
S’assurer de la protection des clients implique de mettre en place un mécanisme pour traiter leurs éventuelles plaintes. Les petites IMF obtiennent pour ce principe un score bien inférieur à la moyenne ; pour les très petites institutions, il est même inférieur au niveau acceptable.
 
Un dispositif de résolution des plaintes ne se réduit pas à une boîte à suggestions. Il s’agit d’allouer des ressources à la collecte, au traitement et à la résolution des plaintes, selon des procédures établies.
 
Pour que le dispositif fonctionne, il faut commencer par informer les clients qu’ils peuvent l’utiliser. Informer et parfois… convaincre, car les clients pauvres sont très réticents à se plaindre d’une institution qui leur apporte les capitaux dont ils ont tant besoin. Plus d’un chercheur a en tête le cas d’un client se plaignant de tel aspect du processus de crédit et ajoutant bien vite « ne le mentionnez pas à X », X étant l’agent de crédit ou de recouvrement ou l’IMF elle-même.
 
En Haïti, Fonkoze s’est attaquée directement à cet obstacle. Lorsque l’institution a lancé une hotline destinée à recevoir les plaintes des clients, elle en a fait la promotion à tous les niveaux de son organisation, lors de son assemblée générale, puis lors de multiples sessions régionales et locales en présence de clients, en expliquant à chaque fois les droits de ces derniers. Cette communication directe a été appuyée par une campagne marketing utilisant posters, cartes et autres supports de promotion.
 
Passez à l’action !
 
Au-delà de la définition de principes, qui dit mise en œuvre dit outils, connaissance des pratiques existantes et échanges, personnes ou organismes ressources pour le conseil et la formation, et prestataires spécialisés (audit, certification, etc.). 
 
Je suis une IMF, quelles sont les étapes à suivre pour mieux prendre en compte la protection de mes clients ? Sur le site de la Smart Campaign, suivez le guide (adhésion, évaluation, application, partage…).
 
Pour ce qui est des outils, la Smart Campaign, le CGAP ou encore MF Transparency mettent à disposition des outils ou manuels (et quelques supports de formation) pour guider concrètement les IMF dans l’application des principes. Le dossier sur la protection des clients du Portail, qui vient d’être actualisé, propose une bibliographie qui fait ressortir pour chaque thème les outils pratiques existants en ligne. Beaucoup ont été traduits en français, mais malheureusement pas encore tous.
 
Connaître les pratiques existantes dans le monde de façon à en tirer des leçons et des idées pour orienter sa propre mise en œuvre est aussi important. Si la formalisation des pratiques et l’échange en matière de protection des clients n’en sont encore qu’à leurs débuts, il existe déjà des références ; se reporter notamment aux encadrés et aux parties bibliographiques du dossier sur la protection des clients et aux Smart Notes de la Smart Campaign. 
 
Les agences de notation proposant des ratings sociaux prennent en compte les aspects de protection des clients. Enfin la Smart Campaign a lancé un processus de certification qui permettra aux IMF du monde entier de démontrer leur adhésion aux Principes de Protection des Clients après une évaluation indépendante (en savoir plus).
 
Ce coup de projecteur a été rédigé à partir de l’étude :
 
Implementing Client Protection in Microfinance The State of the Practice, Smart Campaign, Center for Financial Inclusion, nov. 2011
et du nouveau dossier sur la protection des clients proposé par le Portail.

 

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