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Financement des services d’eau : quelle place pour la microfinance ?

Expériences et potentiel des IMF dans le secteur de l’eau et de l’assainissement

« Réduire de moitié, d'ici à 2015, le pourcentage de la population qui n'a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable ». C’est l’un des objectifs du Millénaire pour le développement, et il est de taille. Pour l’atteindre, 1,5 milliard de personnes devront accéder, d'ici à 2015, à un service d'approvisionnement en eau approprié, soit 100 millions de personnes supplémentaires chaque année. Lors de la 3e Semaine africaine de l’eau en novembre 2010, la Banque africaine de développement indiquait que le recours à l’aide publique au développement et aux budgets nationaux était nettement insuffisant pour combler le déficit de financement du secteur de l’eau et de l’assainissement et appelait à plus de sources de financement innovantes. L'utilisation de la microfinance afin de répondre aux besoins de financement des groupes pauvres et à revenu faible a été l'une des principales approches discutées. Le recours à la microfinance dans le financement de l’eau semble susciter de réels espoirs. Mais paradoxalement, malgré cet engouement, nombre d’acteurs font le constat que la plupart des expériences, encore peu nombreuses, peinent à dépasser le stade du projet pilote.

Financement des services d’eau potable et d’assainissement : quels besoins et quelles contraintes ?

La profonde mutation du secteur de l’eau laisse une plus grande place aux acteurs privés

Au cours des trente dernières années, le secteur de l’eau potable a connu de profondes évolutions dans les pays en développement. Les principes de marchandisation, de décentralisation ou de partenariat public-privé ont fait évoluer un modèle jusqu’ici fondé sur les monopoles publics et le rôle prépondérant des Etats vers une diversification des acteurs et une recomposition de l’action publique.

De petits opérateurs privés locaux sont parvenus à développer une offre de services pour répondre à une demande non satisfaite par d’autres modes d’approvisionnement (réseaux gérés par des entreprises publiques ou privées, points d’eau collectifs en gestion communautaire, etc.) dans les quartiers précaires des métropoles ou les gros bourgs ruraux. Le renforcement de la nature marchande des services a ainsi contribué à faire émerger de nouvelles problématiques de financement.

Quels sont les besoins de financement ?

Des financements sont nécessaires à trois étapes du cycle de développement du service : la création, le renouvellement et l’extension. Ils peuvent provenir de trois sources principales qui sont le tarif (usagers), les taxes (budget de l’Etat) et les transferts (aide internationale). 

Définition des sources de financement : les « trois T »

« Le tarif correspond au prix payé par l'usager pour l'utilisation du service. Les taxes reversées dans le service proviennent du budget de l'État, et sont issues de la collecte des impôts. Le budget étatique peut aussi être alimenté par des prêts souverains des bailleurs […]. Les transferts sont quant à eux essentiellement constitués des dons des bailleurs de la solidarité internationale. »

Extrait de : « L’articulation des « trois T », Céline Gilquin (AFD), in Financer les services d’eau potable dans les petites agglomérations via des opérateurs privés locaux, GRET, 2011, p.65-68.

Le tarif constitue la source dominante de financement en raison de la durabilité et de la prévisibilité qui le caractérisent. Il présente aussi l’avantage d’inciter à la modération dans l’utilisation de l’eau, mais il doit rester abordable pour permettre l’accès de tous au service.

Pour échelonner dans le temps les efforts de financement et mobiliser ponctuellement des sommes importantes, des instruments financiers remboursables peuvent aider à la fois les opérateurs et les ménages clients, notamment le crédit.

A quels besoins la microfinance peut-elle répondre ?

Dans le secteur de l’eau comme ailleurs, l’intérêt principal des produits de microfinance est d’étaler les coûts d’investissement dans le temps, que ce soit pour les ménages ou pour les petits opérateurs.

La microfinance peut donc jouer un rôle dans le financement de l’accès (épargne ou prêts aux ménages pour financer leur raccordement ou leur équipement) et dans le financement des opérateurs (pour l’investissement, la maintenance ou l’extension) ou des projets communautaires.

En 2008, la Fondation Gates a commandé une étude pour évaluer le marché potentiel de la microfinance dans le secteur de l’eau et de l’assainissement dans 38 pays d’Afrique et d’Asie et identifier les opportunités d’apprentissage, d’investissement et d’appui (M. Mehta, 2008). Cette étude est la principale référence sur le sujet. Elle estime le marché potentiel à 12 milliards de dollars et 125 millions d’emprunteurs d’ici la fin de la décennie. La microfinance semble donc avoir un potentiel significatif et largement sous-exploité.

Aperçu des expériences existantes de financement de l’eau et de l’assainissement par les IMF
Prêts aux ménages


Ces prêts individuels sont généralement de court ou moyen terme (moins de trois ans) et d’un montant habituellement faible destiné au raccordement au réseau d’eau, à la construction d’un puits particulier, de latrines ou à l'installation de purificateurs d'eau.

L’étude des expériences existantes permet de distinguer deux catégories :

  • grandes IMF ayant intégré des produits spécialisés dans leur offre courante (par ex. plusieurs IMF du Bangladesh dont Grameen Bank, BRAC et ASA ; la Vietnam Bank for Social Policy) ou pour lesquelles il a été identifié que les prêts classiques sont utilisés à des fins d’accès à l’eau ou d’assainissement (comme SEWA Bank en Inde et certaines IMF au Bénin, en Ouganda et en Zambie) ;
  • IMF participant à un projet pilote avec l’aide d’une assistance externe (par ex. Basix en Inde, BRI-USAID en Indonésie et Mibanco au Pérou).

Au Bangladesh, les prêts dans le domaine de l’eau et de l’assainissement sont majoritairement destinés à la construction de puits (montant plafonné à 50 ou 100 dollars en 1998) et de latrines (20 USD maximum à la même date) et d’une durée de moins de deux ans. L'échelle est significative : quatre grandes IMF avaient touché avec ces produits environ 9 % des ménages ruraux au Bangladesh en 1998. Près de 30 % des clients de la Grameen Bank avaient contracté un prêt pour l'eau ou l'assainissement à cette même date.

En Inde, Basix a mis au point et testé un nouveau produit eau et assainissement dans quatre endroits différents aussi bien en zone urbaine que rurale, avec l’appui de Water Partners International (WPI). Le produit ne comprend aucune subvention ; il s’agit d’un prêt de groupe reposant sur un système de caution solidaire. WPI a apporté son soutien sous la forme d’études de marché dans chacune des zones concernées et en mettant à disposition une ligne de crédit à long terme. Le produit a bien fonctionné dans trois des quatre lieux tests, quoique plus largement pour l’assainissement.

Prêts aux petites entreprises ou projets communautaires

L’expérience des produits de prêt aux petites entreprises ou projets communautaires dans le secteur de l’eau et d’assainissement est plus limitée que celles des prêts aux ménages. Certains projets récents utilisant la microfinance pour financer des projets communautaires de fourniture d’eau au Kenya (K-Rep avec plusieurs facilitateurs), au Sénégal (CMS et le projet Regefor) et en Côte d’Ivoire (Coopec et Crepa) présentent cependant des potentialités intéressantes.

En ce qui concerne le financement des petits prestataires de service d’eau privés ou publics, quelques expériences, là encore peu nombreuses, dessinent toutefois de possibles pistes d’avenir. L’étude de M. Mehta mentionne par exemple plusieurs IMF du Togo avec le Crepa, ou encore le programme Mirep au Cambodge. Il est à noter que dans le cas de Mirep, au Cambodge comme au Laos, le financement relève cependant du mésocrédit (voir partie suivante) et provient d’une banque commerciale et non d’une IMF. En dépit des expériences existantes et des études concluant à un large potentiel, la pérennité et la capacité de réplication à grande échelle du financement de l’eau et de l’assainissement par la microfinance sont encore inconnues. Il ressort de l’étude de M. Mehta qu’une poignée seulement de grandes IMF montrent un intérêt pour ce secteur. Il reste largement inconnu et perçu comme très risqué. Comment expliquer ce décalage ?

Limites et obstacles dans le recours à la microfinance

Une grande part de mésofinance

A y regarder de plus près, force est de constater qu’il faut nuancer le rôle potentiel de la microfinance stricto sensu. D’abord, en ce qui concerne le financement des opérateurs, il faut bien comprendre qu’une grande part des besoins relève de la mésofinance et non de la microfinance. Dans leur introduction, les auteurs du document Financer les services d’eau potable dans les petites agglomérations via des opérateurs privés locaux soulignent que la plupart des opérateurs ont des besoins de financement qui se situent entre le plafond des prêts accordés par les IMF et le plancher des crédits bancaires (entre 2000 et 100 000 euros). On rejoint donc ici la problématique courante du « missing middle », faisant le constat d’un manque de prestataires de services financiers adaptés aux besoins des petites entreprises d’une manière générale dans de nombreuses économies en développement. D’ailleurs, dans l’étude de M. Mehta, le terme microfinance renvoie à une définition très large (« montant de prêt inférieur à 500 000 USD »).

Le potentiel le plus marqué concerne l’assainissement

Par ailleurs, si on rentre dans le détail de cette même étude, on s’aperçoit que le potentiel le plus élevé concerne plutôt l’assainissement, notamment dans les zones rurales, et tout particulièrement en Inde. La part de l’eau est estimée à 28% du marché potentiel global pour l’eau et l’assainissement.

Une méconnaissance réciproque des deux secteurs

Le secteur de la microfinance connait mal les besoins du secteur de l’eau et inversement ce dernier a une faible connaissance des outils offerts par la microfinance. Or pour développer des produits spécifiques, cette connaissance mutuelle doit être acquise, et au-delà, la confiance doit s’instaurer entre les acteurs des deux champs. La durée des crédits requis est généralement plus longue que pour les microcrédits classiques. Par ailleurs, ces prêts sont destinés à financer des services essentiels et non des activités génératrices de revenus.

A cet égard, il est assez étonnant de constater qu’il est peu question d’épargne dans les analyses sur le rôle des services de microfinance dans le financement des services d’eau. Du point de vue des ménages, il peut pourtant s’agir d’un produit alternatif intéressant pour le raccordement ou l’équipement.

Conditions requises et rôle des facilitateurs

Pour que la microfinance atteigne une échelle significative dans le financement des services d’eau, plusieurs conditions doivent être réunies : une demande potentielle significative, un niveau de développement de la microfinance avancé et adapté à cette demande, et des politiques en matière d’eau et d’assainissement qui encouragent le recours à la microfinance.

Quelques activités clés doivent accompagner le développement des services de microfinance dédiés au secteur eau et assainissement :

  • étude du secteur eau et assainissement/étude de marché, pour comprendre la demande à la fois du point de vue des ménages et des IMF ;
  • offre de services d’appui aux entreprises pour soutenir les PME de ce secteur ;
  • soutien à la recherche pour la conception des produits (durée, taux d’intérêt, etc.) ;
  • soutien au développement pour réduire le coût et le risque ;
  • garantie pour réduire le risque d’entrée sur le marché pour les IMF.

Pour mener à bien ces activités, trois types de partenaires potentiels :

  • IMF bien établies ;
  • promoteurs crédibles, capables de fournir la facilitation nécessaire et d’agir comme catalyseurs ;
  • associations d’IMF : potentiellement de bons véhicules pour diffuser les enseignements et susciter l’intérêt pour ce secteur chez les IMF.

Les bailleurs font clairement partie de la catégorie des facilitateurs. Ils ont un rôle important à jouer par le biais de subventions « intelligentes », de mécanismes de garantie ou autres instruments pour soutenir le développement des produits et la mise en relation, et promouvoir d’une façon plus générale les activités visant à la création du marché.

Ce coup de projecteur s’appuie largement sur les chiffres et analyses des deux documents suivants :

Autres références utiles :

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