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Accès des jeunes aux services financiers

L’inclusion financière des jeunes : une préoccupation croissante mais une traduction effective encore très limitée

L’accès des jeunes aux services financiers n’est pas un thème nouveau. En 2005 déjà, l’USAID publiait une étude intitulée « Serving Youth with Microfinance » et ne faisait pas figure de pionnier. Mais ce sujet est depuis peu à l’ordre du jour d’un nombre croissant d’organisations et d’événements qui cherchent à mettre en valeur les expériences existantes, promouvoir des initiatives nouvelles et dégager les premiers principes d’action.

L’insertion économique des jeunes : un défi mondial majeur

Cet intérêt est porté par le dynamisme de la réflexion plus globale sur l’emploi et l’entreprenariat des jeunes. La population des 15-24 ans n’a jamais été si nombreuse. Or les jeunes au chômage représentent 40 % environ de la population sans emploi dans le monde, alors qu’ils ne forment que 25 % de la population en âge de travailler.

Making Cents International, organisation spécialisée dans le développement de l’entreprise et plus particulièrement dans l’insertion économique des jeunes, cherche ainsi depuis deux ans à faire avancer la recherche sur la prestation de services financiers aux jeunes. Un premier atelier rassemblant professionnels de l’insertion des jeunes et professionnels de la microfinance a été organisé en 2008. Depuis, une étude sur l’état de ce secteur émergent ainsi qu’une conférence mettant en lumière l’expérience de différents acteurs ont permis de consolider un premier ensemble de recommandations.

Jeunes : les oubliés des services financiers

Il y aurait actuellement quelque 300 millions de jeunes éligibles aux services financiers dans les marchés émergents et seulement 0,025 % environ des portefeuilles de prêts des principaux prestataires entre les mains de jeunes hommes ou jeunes femmes. Le décompte n’est toutefois pas si facile qu’il y paraît. Les tranches d’âge censées définir la notion de jeune diffèrent. En outre, très peu d’institutions collectent des données sur leurs clients par catégorie d’âge.

Les jeunes sont globalement toujours considérés comme un segment à risque par les prestataires de services financiers. Cette idée n’est pas sans rappeler le débat alimenté il y a 20 ans par ceux qui affirmaient que les pauvres étaient trop pauvres pour épargner ou pour rembourser des prêts avec intérêts. Dépasser les idées reçues est donc le premier pas. Une étude menée dans le cadre du programme Global Partnership for Youth Investment (GPYI) de la Banque mondiale montre que les jeunes entrepreneurs tendent à avoir des taux de remboursement plus élevés que leurs aînés.

Servir les jeunes : pourquoi et comment ?

Le directeur général de Hatton National Bank (voir encadré) n’est pas le seul à le dire : les jeunes peuvent représenter une opportunité commerciale réelle. Les banques doivent renoncer à leurs calculs de rentabilité à court terme et considérer que servir ce segment peut non seulement être profitable à terme, mais aussi contribuer à leur responsabilité sociale. Les motivations citées par les prestataires qui offrent des services aux jeunes comprennent le renforcement de la base de clientèle, l’augmentation de la part de marché, la fidélisation des clients, la contribution à la responsabilité sociale de la banque ou plus fondamentalement à sa mission. Sur certains marchés, il y a déjà compétition entre les prestataires pour servir le segment des jeunes.

Pour autant, l’offre de services à cette population ne va pas de soi. Outre les préjugés déjà évoqués sur le niveau de risque de ce segment, la prestation de services financiers aux jeunes peut être compliquée par d’autres éléments : le besoin particulier d’accompagnement non financier des jeunes (éducation, renforcement de compétences, accès à l’emploi, etc.) ou la réglementation (âge minimum pour certains services ou pour la capacité de signature). 

Pour Hatton Bank, les meilleurs banquiers sont ceux qui ressemblent à leurs clients

Au Sri Lanka, la grande banque commerciale privée Hatton National Bank cible les jeunes par le biais de deux programmes : 1/ des mini-banques gérées par les étudiants dans les écoles, et 2/ des programmes villageois de microfinance dans les zones rurales. Dans un cas comme dans l’autre, les banquiers ou les agents de crédit sont de jeunes gens issus des communautés servies. Dans les régions rurales, les jeunes agents de crédit retournent dans leur village où leur rôle de mentor va au-delà de l’offre de crédit et d’épargne. Plus de 600 000 étudiants ont accès aux services de HNB, pour un total de près de 40 millions de dollars de dépôts d'épargne. 65 % du portefeuille de microfinance global est alloué à la tranche des 18-26 ans. Un élément essentiel de ces programmes est l’éducation financière qui appuie la capacité des jeunes à gérer judicieusement les services financiers.

Premiers principes directeurs pour la mise en œuvre de services financiers aux jeunes

Sur la base de l’atelier et de l’étude menée auprès d’opérateurs par Making Cents International, les acteurs du secteur émergent de l’inclusion financière des jeunes ont fait ressortir 6 premiers principes directeurs pour la conception et la mise en œuvre de services :

    1. Impliquer les jeunes dans l’étude de marché et le développement de produits. Identifier les spécificités du marché des jeunes et impliquer les jeunes dans le processus de développement de produit permet d’apporter des changements aux produits existants ou de concevoir de nouveaux produits et/ou canaux de distribution adaptés.

Les méthodes qualitatives et participatives (groupes de discussion, entretiens approfondis, analyse de la saisonnalité, du cycle de vie, etc.) sont très utiles dans ce contexte. MicroSave et Population Council ont mené ensemble une étude de marché participative au Kenya auprès de 200 adolescentes pour cerner leurs pratiques et besoins financiers.

    2. Tenir compte de la diversité des jeunes dans le développement des produits et services. Ils ne forment pas un groupe homogène (âge par rapport au seuil légal, stade du cycle de vie, sexe, éducation…).

Dans le cadre de son programme YouthInvest, MEDA a mené une étude de marché auprès des IMF au Maroc qui l’amené à segmenter la clientèle jeune en fonction de sa situation d’emploi : jeunes encore en études ; gérant une entreprise ; envisageant de démarrer une entreprise ; en recherche d’emploi ; ou salariés. A chaque groupe correspondaient des besoins très différents.

    3. S’assurer que les jeunes disposent d’espaces sûrs et dédiés à leur soutien. Cela aide à renforcer la confiance des jeunes et leur permet de tirer parti des opportunités. Il peut s’agir d’infrastructures, de mécanismes de prestation ou de réseaux sociaux. Cela inclut également une protection par le biais de codes de conduite adaptés à chaque âge.

Les minibanques mises en place par Hatton Bank au Sri Lanka sont intégrées au sein des écoles et gérées par les étudiants eux-mêmes qui ont été formés à offrir des services aux autres étudiants.

    4. Fournir des services non financiers complémentaires ou mettre les jeunes en lien avec ces services. Cela peut recouvrir le mentoring, l’éducation financière, l’instauration d’une culture d’épargne, le renforcement des aptitudes à la vie courante, l’aide à la subsistance ou le développement des capacités de travail.

BRAC a créé un programme d’émancipation des jeunes filles baptisé Social and Financial Empowerment of Adolescents comprenant 6 composantes complémentaires : lieu dédié, éducation financière et non financière, formation, services d’épargne et crédit, sensibilisation de la communauté au rôle des jeunes filles.

    5. Se concentrer sur son cœur de métier et recourir aux partenariats. Evaluer ses propres capacités institutionnelles et recourir à des collaborations avec des organismes à l’action complémentaire : organisations de soutien aux jeunes, écoles, instituts de formation, etc.

En Ouganda, Banyan Global (cabinet de conseil), Equity Bank et l’institut de formation médicale Mayanja Memorial ont collaboré pour permettre aux élèves infirmiers d’accéder à des services financiers et ainsi de continuer leur formation tout en exerçant leur activité.

    6. Impliquer la communauté. A commencer par la famille, mais aussi les écoles, enseignants et autres groupes locaux pour renforcer mutuellement services financiers et non financiers et améliorer leur efficacité.

Au Bangladesh, les jeunes filles sont confrontées au mariage précoce et représentent souvent une charge pour leurs parents, en particulier en raison de la dot. BRAC comme Save the Children ont jugé essentiel de mener un travail de sensibilisation et d’implication de la communauté pour changer le regard sur les filles, leur capacité à gérer des services financiers et leur éventuel rôle productif.

D’autres enseignements préliminaires émergent. Les jeunes ont tendance à privilégier l’épargne au crédit ou à d’autres services. Leurs préférences sont globalement les mêmes que celles des pauvres : sécurité, accès fréquent aux dépôts, dépôts faibles et réguliers et pas de commission. L’un des principaux défis est le passage à l’échelle. Peu d’initiatives à ce jour ont atteint une échelle significative. Par ailleurs, il reste à trouver des stratégies pour financer les phases pilotes et les phases de démarrage non rentables.

Deux questions importantes restent posées à ce stade de l’expérience :

  • Les produits et services financiers doivent-ils être spécifiquement conçus pour les jeunes ou les jeunes peuvent-ils être touchés aussi bien – ou suffisamment bien étant donné les arbitrages de coût – par des services non spécifiquement ciblés ?
  • Comment déterminer la combinaison optimale de services financiers et non financiers, étant donné les contraintes de coût et le souhait d’atteindre à terme une échelle suffisante ?

Ce coup de projecteur a été rédigé à partir du rapport : State of the Field in Youth Economic Opportunities 

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