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Investissement socialement responsable en microfinance - avancées et perspectives

Les investisseurs ont un rôle à jouer dans la responsabilité sociale de la microfinance

L’investissement étranger en microfinance, que ce soit en fonds propres, prêts ou garanties, connaît un boom sans précédent du fait de l’intervention d’investisseurs à la fois publics et privés. D’une part, les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, acteurs publics, ont développé des instruments de financement privés pour gérer des capitaux majoritairement publics – de type Proparco/AFD. D’autre part, de nombreux fonds d’investissement (regroupés sous le terme MIV, Microfinance Investment Vehicles), gérés par des entités privées, sont financés tant par des capitaux privés (d’origine individuelle ou institutionnelle) que par des capitaux publics.

Aujourd’hui, le développement du secteur de la microfinance requiert à la fois de renforcer les capacités des IMF et de construire avec les investisseurs et bailleurs des mécanismes pour rendre compte de la pertinence sociale de leurs activités. La complémentarité entre les approches de gestion des performances sociales des IMF et les réflexions des investisseurs sur des pratiques responsables doit permettre de renforcer la transparence du secteur sur ces questions. Elle doit contribuer également à assurer la crédibilité de la microfinance et l’équilibre entre ses performances sociales et financières. C’est l’une des clés pour une contribution pérenne du secteur en faveur du développement économique et social des populations touchées.

Quelles sont les réflexions et avancées des fonds d’investissement sur ces thématiques, et les perspectives pour le secteur ?

Des enquêtes montrent que l’utilité sociale demeure un argument essentiel pour l’investissement en microfinance (voir Dialogue Européen n°1). Une étude de la Deutsche Bank (Microfinance : an emerging investment opportunity, 2007) voit en effet dans la « montée fulgurante des investissements à motivation sociale » la première explication à la mise en place d’une niche d’investissement autour de la microfinance. En l’absence de transparence sur la dimension sociale de ces activités, un risque majeur de réputation est attaché à ces investissements. En outre, une surenchère de communication sur les bienfaits de la microfinance décrédibiliserait l’ensemble du secteur en cas de scandale. A ce titre, le cas de Compartamos a eu l’effet d’un coup de semonce.

Un premier champ de la responsabilité sociale des investisseurs est donc d’être transparent sur les performances sociales des IMF financées et d’accompagner leur amélioration. Un certain nombre de fonds d’investissement européens ont déjà une démarche active dans ce domaine (voir encadré). Lors de la table ronde sur le thème « MIV et performances sociales » de la Semaine européenne de la microfinance 2009 (voir p. 36-37 du rapport de la Conférence, en anglais) les participants, dont BlueOrchard, ont indiqué que les investisseurs récompensaient les performances sociales des IMF et exerçaient une pression sur leurs dirigeants pour la mesure et la gestion de ces performances. Un groupe de travail des investisseurs travaille également au sein de la « Social Performance Task Force» pour identifier les indicateurs sociaux clés qu’ils collecteront de façon systématique et standardisée auprès de leurs IMF partenaires.

Exemples de fonds d’investissement favorisant la mesure et la transparence des performances sociales des IMF

Les cas des organisations belges Incofin et Alterfin démontrent de manière détaillée comment elles sélectionnent les IMF en fonction de leurs performances sociales. Triodos, une banque privée néerlandaise, et FMO, qui gère des fonds publics, encouragent les IMF à prendre en compte les aspects sociaux et environnementaux dans leurs activités de crédit et leurs pratiques quotidiennes de gestion. La Sidi, basée à Paris, explique au travers d’un exemple péruvien, comment elle travaille avec les IMF pour améliorer leurs performances sociales et assurer la ‘viabilité humaine’ d’une IMF.

Le Fonds hollandais Oikocredit présente la manière dont il constitue une base de données interne qui fournit un ensemble d’informations sur le profil social de ses investissements, alors que EFSE (le Fond Européen pour l’Europe du Sud-Est) explique comment il promeut les performances sociales et environnementales des institutions de prêts en établissant des standards et un suivi régulier, et en menant des études.

(Extrait de Le rôle des investisseurs dans la promotion des performances sociales en microfinance, Dialogue Européen Numéro 1, European Microfinance Platform, novembre 2008, p. 10) 

Par ailleurs, on demande au secteur de « changer d’échelle » pour toucher un nombre croissant de clients. Cependant, les questions de management et de gouvernance, de contrôle des coûts et de ressources humaines, de dérives pour certains consommateurs (surendettement, comportements des agents de crédit, niveau des taux, etc.) ont souvent été identifiées comme des risques majeurs de la microfinance. Dans ce contexte, un deuxième champ de la responsabilité sociale des investisseurs est de mettre en œuvre des pratiques de financement qui contribuent à la stabilité, au renforcement structurel et au changement d’échelle de la microfinance.

Les fonds peuvent ainsi réfléchir à leur propre stratégie sociale et à leurs avantages comparatifs pour promouvoir un secteur solide et diversifié. On observe aujourd’hui une forte concentration des investissements sur un nombre réduit d’IMF. Beaucoup des IMF dites intermédiaires, sur lesquelles repose l’essentiel du potentiel de croissance du secteur, ont un accès plus difficile aux financements. Cette concentration est aussi géographique : la majorité des fonds concentrent leurs interventions en Europe centrale et orientale et en Amérique latine. Face à ces constats émerge un enjeu fort de la responsabilité sociale des MIV : orienter les investissements en direction d’IMF naissantes ou en consolidation pour accompagner la croissance attendue du secteur. Un investisseur socialement responsable se donnerait alors les moyens de toucher des IMF rurales, ou en consolidation, de préférence dans des zones géographiques peu couvertes, en Afrique notamment. Autre aspect lié aux pratiques de financement responsable : la prise en charge du risque de change.

Pour les investisseurs impliqués dans la gouvernance d’une IMF, de nombreux domaines ne sont pas neutres : apport d’expertise en parallèle des financements, politique de dividendes, stratégie de sortie, promotion de standards sociaux et environnementaux, prise en compte des réalités locales, etc. Une réflexion est menée par exemple sur la question de la gouvernance étrangère des IMF par ADA et ses partenaires. Une table ronde au cours de la semaine européenne de la microfinance a ainsi évoqué les avantages et les inconvénients de la présence d’actionnaires étrangers au capital des IMF (voir p. 39-40 du rapport de la Conférence).

Comment les investisseurs et bailleurs peuvent-ils mesurer et valoriser leur contribution à la consolidation d’un secteur viable et socialement performant ? Il existe aujourd’hui un besoin et une demande de principes d’évaluation. Ceux-ci doivent combiner d’une part le suivi et l’agrégation de la performance sociale des IMF financées et d’autre part les performances sociales liées aux pratiques des fonds.

Plusieurs initiatives dans le secteur avancent dans ce sens.

--Reporting

Le CGAP a intégré dans les règles de publication des performances des fonds d’investissement (MIV Disclosure Guidelines for Reporting on Performance Indicators) une section sur les principes de l’investissement responsable questions environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise, ou ESG). Dans sa dernière étude sur les MIV, le CGAP recensait 103 MIV actifs à fin 2008, totalisant un portefeuille de 6,6 milliards de dollars. Plus de 60 % des MIV participant à l’étude publiaient des informations ESG à l’intention de leurs investisseurs et 65 % avaient formé leur personnel à ces questions. Par ailleurs, 60 % des VIM adhéraient à la campagne de protection des clients de la microfinance (The Smart Campaign) développée par le CGAP et le Centre pour l’inclusion financière de Accion. En ce qui concerne la protection de l’environnement, peu de fonds s’étaient encore saisis de la question, mais 12 % des MIV compensaient déjà leurs émissions carbone et 41 % avaient dressé des « listes noires » environnementales (Microfinance Funds: Still growing – with increased focus on social transparency).

--Audit

CERISE, pionnier dans le développement d’outils d’évaluation des performances sociales des IMF, a tissé des relations de confiance et établi des échanges avec de nombreux investisseurs en microfinance. Le réseau a aujourd’hui engagé un travail d’animation et d’accompagnement pour renforcer l’évaluation sociale au niveau des investisseurs en microfinance. Un premier audit social a été conduit auprès d’Oikocredit, qui a permis à ce dernier de renforcer sa stratégie sociale, au sein d’une nouvelle unité « SPM – Social Performance Management ». CERISE développe aujourd’hui un outil complet qui sera accessible sur son site.

--Rating

Des ratings des MIV sont en phase de test (Blue-Orchard, Incofin, Oikocredit avec M-Cril notamment). Les agences de notation pourront ensuite définir un cadre de vérification homogène, qui permettra de garantir un contrôle externe sur l’efficacité des démarches entreprises et informer les investisseurs des fonds.

--Labellisation

Depuis le début de l’année, le Label pour les fonds d’investissement en microfinance, LuxFlag, a intégré un critère social à son évaluation. En intégrant ce nouveau critère, LuxFlag reconnaît que les MIV doivent poursuivre un double objectif de résultat (économique et social) et cherche à encourager la transparence sur les performances sociales. A noter cependant que ce critère ne vise pas à garantir la fiabilité du reporting, ni des indicateurs de performances sociales utilisés par les fonds.

Au niveau de la plateforme européenne de microfinance, un groupe s’est constitué (investisseurs, ONG, consultants) pour capitaliser sur ces différentes expériences à l’échelle européenne, et progresser sur un cadre commun d’évaluation de la finance responsable, en lien avec la Social Performance Task Force. Un nouveau numéro du Dialogue Européen sur ces thèmes devrait paraître en novembre 2010.

Pour en savoir plus

A lire :

Lapenu C., De Bruyne B. et Verhagen K. (ed.), Le rôle des investisseurs dans la promotion des performances sociales en microfinance, Dialogue Européen Numéro 1, European Microfinance Platform, novembre 2008

Audran, J., Microfinance, inclusion financière et création de valeur sociale : Au-delà des bonnes intentions, la gestion de la performance sociale dans les véhicules d’investissement en microfinance, 2008

Forster S., Reille X., Foreign Capital Investment in Microfinance: Balancing Social and Financial Returns, Focus Note 44, CGAP, 2008 (à paraître en français)

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By C. Lapenu
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