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Sites de microcrédit en ligne : quel intérêt pour les institutions de microfinance ?

Les plates-formes de crédit en ligne sont-elles une source de financement intéressante pour les IMF ?

Kiva, Babyloan, MicroPlace, MyC4, dhanaX, … les plates-formes de prêt ou d’investissement en ligne se multiplient partout dans le monde, fortes du succès remporté par les pionnières. Le phénomène atteste de l’intérêt des internautes philanthropes désireux de prêter ou d’investir des sommes modestes pour soutenir l’activité de micro-entrepreneurs du Sud. Mais qu’en est-il des institutions de microfinance qui servent d’intermédiaires entre les prêteurs et les micro-entrepreneurs ? Les IMF en quête de capitaux peuvent-elles trouver là un instrument de financement inédit efficace et adapté ?

À première vue, les plates-formes de prêt en ligne apparaissent comme une option extrêmement intéressante pour une IMF en quête de capitaux : certaines sont en mesure de fournir des financements significatifs en un temps record (parfois quelques heures), à des taux d’intérêt hautement subventionnés (voire nuls) et pratiquent, à l’heure actuelle, le refinancement (c’est-à-dire qu’elles peuvent offrir un nouveau financement permettant à l’IMF de rembourser le principal de son précédent emprunt en ligne).

Cependant, les IMF doivent y regarder à deux fois. Les plates-formes de prêt en ligne, comme tout autre type de financement, peuvent les exposer à des coûts cachés et à des risques inhérents au prêteur lui-même, liés à sa stabilité, à sa réputation, à l’étendue de ses compétences opérationnelles et commerciales, ainsi qu’à des risques réglementaires.

Les IMF doivent donc aller au-delà de l’évaluation élémentaire applicable à tout financement, et se poser quelques questions supplémentaires (certaines étant particulièrement sensibles dans le contexte de la crise financière mondiale actuelle), résumées ci-dessous.

1. Quelles sont les plates-formes en ligne susceptibles de fournir le financement nécessaire dans le temps requis, et quelle assistance supplémentaire offrent-elles à l’IMF ?

Le marché du prêt en ligne est encore nouveau et la visibilité assez faible. Doit-on faire une distinction entre les prêteurs en ligne qui n’attendent aucun retour sur investissement et ceux qui visent un rendement financier ? Les IMF doivent s’intéresser aux motivations des prêteurs en ligne car celles-ci influent sur la fiabilité et la stabilité de la plate-forme.

Une IMF qui s’apprête à emprunter pour la première fois auprès de cette source doit procéder à ses propres vérifications préalables sur sa stabilité. Voici quelques questions qu’elle doit se poser :

  • La plate-forme en ligne a-t-elle par le passé été en mesure de fournir des financements dans les délais et les montants requis ?
  • Quel est le degré de « fidélité » des prêteurs et investisseurs en ligne à l’égard de la plate-forme ?
  • La plate-forme a-t-elle obtenu toutes les autorisations de sa juridiction d’accueil pour lever des fonds en ligne ?
  • Quels autres services la plate-forme en ligne offre-t-elle à ses IMF partenaires (assistance technique, publicité positive, etc.) ?
2. Quel est le coût du financement en ligne et dans quelle monnaie est-il proposé ? En cas d’événement notable sur le marché des changes, qui supporterait le risque ?

Le coût du financement en ligne n’est pas toujours facile à quantifier. Même Kiva déclare que ses prêts à 0 % ne se traduisent pas globalement par 0 % de coûts pour l’IMF emprunteuse. Celle-ci doit donc impérativement déterminer les coûts de l’obligation de reporting et autres exigences imposées en contrepartie du financement.

Autre facteur potentiel de coût : le risque de change, dans les cas où les prêts sont libellés en devises. Dans ce système atypique de financement, qui supporte le risque de change ? De toutes les parties impliquées – micro-entrepreneur, IMF, particulier prêteur en ligne ou plate-forme de prêt en ligne -, c’est la plate-forme qui semble a priori la mieux à même de gérer ce risque. Elles semblent toutefois encore peu nombreuses à arriver à cette conclusion. En attendant, les IMF doivent donc prendre des mesures concrètes pour atténuer ces risques.

3. Comment la plate-forme de prêt ou d’investissement en ligne compte-t-elle aider ses IMF partenaires à gérer les fluctuations soudaines et parfois imprévisibles de financement liées à la nature de son fonctionnement ?

On ignore encore si les plates-formes de prêt en ligne sont des sources de financement fiables et récurrentes, même si les premières expériences sont plutôt positives. Dans le contexte de crise actuelle, vont-elles se tarir ou au contraire résister et faire éventuellement office de « prêteurs de dernier recours » ?

Au moins deux plates-formes en ligne, Kiva et MicroPlace, jouent actuellement ce rôle contracyclique en fournissant des financements aux IMF. Au cours du dernier trimestre 2008, Kiva et MicroPlace ont mobilisé davantage de fonds que par le passé, alors que les flux de sources plus conventionnelles pour la microfinance se réduisaient.

Par ailleurs, quelles sont les mesures prises par les plates-formes pour maintenir l’engagement de leurs prêteurs ? Et quel niveau de responsabilité et de transparence garantissent-elles à ces derniers ? La réponse à ces deux questions conditionne la fidélité des prêteurs et la stabilité des plates-formes en tant que source de financement.

4. Comment les autres créanciers, plus traditionnels, de l’IMF considèrent-ils le fait que l’IMF emprunte auprès d’une plate-forme en ligne pour couvrir ses besoins en fonds de crédit ?

Une IMF qui envisage d’emprunter auprès d’une plate-forme en ligne doit s’interroger sur la façon dont ses autres créanciers, actuels et potentiels, considèrent cette nouvelle source de financement. Pour le moment, les créanciers traditionnels de la microfinance ne semblent pas hostiles et sont peu nombreux à mettre en place une politique cohérente à cet égard.

En cas de difficultés financières de l’IMF, la plate-forme sera-t-elle disposée à coopérer avec les autres créanciers ? Sera-t-elle en mesure de négocier au nom de ses prêteurs et éventuellement de lever des fonds supplémentaires ? Les IMF ont tout intérêt à s’orienter vers des plates-formes réputées pour être ouvertes à la collaboration avec d’autres types de prêteurs et présentes dans les discussions sectorielles.

5. Quelles exigences la plate-forme en ligne impose-t-elle à l’IMF en matière de reporting ? Quelles en sont les implications en termes de fonctionnement et de coût pour l’IMF (SIG notamment) ?

La mise en ligne sur les sites de crédit de profils de micro-entrepreneurs implique pour les IMF un travail important de collecte et de traitement de données sur leurs clients. C’est une tâche que nombre d’entre elles réalisent déjà pour répondre à la demande de bailleurs de fonds. Cependant, il est assez inhabituel qu’elles y consacrent autant de temps et de ressources, et ce pour satisfaire aux exigences d’un prêteur et non d’un donateur.

Cette exigence peut impliquer l’adaptation ou le changement du système d’information de gestion (SIG). L’IMF doit donc évaluer les capacités technologiques requises pour gérer les données exigées en contrepartie de ce type de financement.

6. Quels sont les problèmes en matière de confidentialité et de protection des consommateurs que pose à l’IMF la mise en ligne d’informations sur les micro-entrepreneurs ?

Les IMF doivent éviter d’emprunter auprès de plates-formes qui encouragent le partage d’informations avec le public au détriment de la protection de la vie privée des micro-entrepreneurs. Actuellement, seules 3 plates-formes de prêt et d’investissement en ligne (Kiva, MicroPlace et MyC4) ont adopté les Principes de protection de la clientèle récemment ratifiés par plus de 40 grands investisseurs institutionnels de la microfinance.

7. Quelles sont les vérifications préalables auxquelles l’IMF doit procéder pour satisfaire aux exigences réglementaires de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ?

Les IMF soumises aux règles LAB-CFT doivent s’assurer qu’elles ne s’exposent pas à des sources suspectes de financement lorsqu’elles font appel à des prêteurs ou investisseurs en ligne.

Les plates-formes de prêt en ligne posent un problème particulier dans ce domaine, car la traçabilité des fonds n’est pas toujours évidente lorsque ceux-ci proviennent de regroupements de particuliers.

Dans ce cas, l’IMF doit pouvoir s’en remettre à la plate-forme qui dispose d’informations plus détaillées sur les prêteurs/investisseurs individuels pour procéder aux vérifications préalables requises - comme elle le ferait avec un fonds d’investissement.

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L’article est tiré de : Burand, Deborah. 2009. Microfinance Managers Consider Online Funding: Is It Finance, Marketing, or Something Else Entirely? Focus Note 54. Washington, D.C.: CGAP, 12 p. (à paraître en français)    

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