Des enquêtes révèlent une voie vers une finance numérique responsable dans l’UEMOA
Même si les services financiers numériques ont permis de réduire les coûts et se sont avérés plus pratiques pour les clients, ils ont apporté de nouveaux risques qui peuvent avoir un impact négatif sur la vie des consommateurs. Les données Findex 2021 montrent des données préoccupantes en termes de protection des consommateurs, et l'étude globale 2022 du CGAP sur l'évolution de la nature et de l'ampleur des risques liés à la finance numérique pour les consommateurs a révélé une augmentation de la variété et de la fréquence des fraudes et de l'utilisation abusive des données des consommateurs – ce qui a été confirmé par le récent rapport de l'OCDE Consumer Finance Risk Monitor et le rapport de Consumers International Fair Digital Finance Index.
Cela souligne la nécessité de mieux surveiller les risques pour les consommateurs et de favoriser une finance numérique plus responsable, en particulier dans les pays où ils progressent rapidement. Dans cet esprit, le CGAP a lancé en 2021 le Lab de protection des consommateurs des services financiers numériques de l’UEMOA (WAEMU lab). Le Lab vise à rendre les services financiers numériques de la région plus responsables, en réduisant les risques pour les consommateurs et en garantissant leur valeur.
Travaillant en étroite collaboration avec les autorités locales et régionales, en particulier les Observatoires de la qualité des services financiers, le CGAP a mené des enquêtes téléphoniques nationales sur l'expérience et l'exposition des consommateurs aux risques liés aux SFN en Côte d'Ivoire, au Sénégal et au Burkina Faso. Dans les trois pays, la finance numérique est principalement utilisée pour les transferts et les paiements via mobile money.
La finance numérique n’est pas encore accessible à tous
Le CGAP a constaté un écart de 10 à 30 points de pourcentage entre l’utilisation des femmes et des hommes, ainsi qu’un important "biais urbain" dans tous les pays, avec seulement 15 % des utilisateurs de mobile money résidant dans les zones rurales de Côte d’Ivoire, par exemple.
Caractéristiques des utilisateurs
Les utilisateurs de SFN sont confrontés à des défis importants dans les trois pays étudiés
Selon les pays, les enquêtes ont montré qu'entre 68 % et 90 % des utilisateurs étaient confrontés à des risques liés à l'utilisation de SFN au cours de l'année écoulée. Ces risques ont entraîné des pertes financières pour une grande partie des utilisateurs au Sénégal et en Côte d’Ivoire (respectivement 32 % et 40 %), mais dans une moindre mesure au Burkina Faso (16 %). Dans les trois pays, les enquêtes révèlent des difficultés importantes à effectuer correctement des transactions pour près de 40 % des utilisateurs.
Défis rencontrés par les utilisateurs
L’exposition à la fraude est une préoccupation majeure au Sénégal et en Côte d’Ivoire
Quelques 43 % des utilisateurs de mobile money au Sénégal et 28 % des utilisateurs en Côte d’Ivoire ont déclaré avoir été exposés à au moins une tentative de fraude au cours des 12 derniers mois. Le manque de transparence est également préoccupant, puisque 55 % (Sénégal) et 33 % (Côte d’Ivoire) des utilisateurs n’ont pas été informés du coût du service avant d’effectuer une transaction. Ces risques sont plus faibles au Burkina Faso.
Pourcentage d'utilisateurs ayant reçu une tentative de fraude/escroquerie au cours des douze derniers mois
Les mécanismes de recours varient considérablement d’un pays à l’autre
Alors que le Burkina Faso se distingue par son taux élevé d'utilisation du service client (84 %) et de résolution de problèmes (94 %), en Côte d'Ivoire et au Sénégal, la résolution des plaintes est plus faible. En Côte d'Ivoire, 33 % des utilisateurs contactent le service client avec une résolution des plaintes de 72 %, et au Sénégal, 47 % contactent le service client avec une résolution des plaintes de 86 %.
Les agents ne disposent pas toujours de liquidités mais ils peuvent aider les consommateurs à effectuer des transactions
Les agents ont tendance à jouer un rôle positif en aidant les consommateurs à comprendre les services, mais ils ne disposent pas toujours des liquidités nécessaires pour que les consommateurs puissent effectuer un retrait. Par exemple, en Côte d’Ivoire, ils mettent en garde ces derniers contre d’éventuelles fraudes, mais les enquêtes ont également révélé qu'ils manquaient de liquidités.
"Il y a des clients qui viennent de villages éloignés pour retirer de l'argent et pouvoir faire face à leurs dépenses quotidiennes… mais l'agent leur dit qu'il n'y a plus d'argent, alors qu'il n'a besoin que de 15 000 FCFA (environ 25 dollars) pour subvenir à ses besoins."
Utilisateur de mobile money à Niakhar, Sénégal
Les trois pays se caractérisent par un réseau mobile médiocre, ce qui empêche la fluidité des transactions et expose les utilisateurs à des pertes d’argent. Dans ces trois pays, 61 % (Côte d’Ivoire), 44 % (Sénégal) et 55 % (Burkina Faso) des utilisateurs de SFN ont été confrontés à ce défi au moins une fois au cours des douze derniers mois.
Étonnamment, des différences significatives entre les sexes dans l’exposition globale au risque ont rarement été observées
Tout au long des enquêtes, nous avons collecté des données ventilées par sexe, car nous nous attentions à ce que les femmes soient beaucoup plus exposées aux risques que les hommes. Cependant, les résultats sont plus nuancés que prévu. Par exemple, dans les trois pays étudiés, nous n’avons observé aucune différence significative entre les sexes en termes d’exposition au risque ou de difficultés liées à la capacité à utiliser les services financiers numériques, mais les femmes ont déclaré avoir besoin de plus d'assistance que les hommes pour utiliser les services.
Une consommatrice interrogée par le CGAP dans une petite ville du Burkina Faso a déclaré : "pour une meilleure utilisation de leurs comptes mobiles, les femmes devraient être formées et sensibilisées sur la nécessité de garder leur mot de passe secret".
Des écarts entre les sexes existent pour des risques spécifiques. Les femmes ont commis moins d’erreurs de destinataire ou de montant (écart de 6 à 7 %), car elles sont plus susceptibles de demander de l’aide et utilisent souvent un seul compte. Cependant, les femmes ont eu plus de difficultés à naviguer dans les menus et à utiliser la syntaxe USSD, ce qui concorde avec le fait que les femmes sont plus susceptibles de demander de l'aide pour utiliser les services.
Un autre résultat surprenant dans les trois pays est que les femmes n'ont pas une forte préférence pour les transactions avec des agents du même sexe, avec seulement 4 à 12 % exprimant cette préférence.
Les résultats de l'enquête ont déclenché de nombreuses initiatives qui contribueront à des SFN plus responsables
Il est urgent que l'utilisation des SFN conduisent à de meilleures expériences clients et de meilleurs résultats pour les consommateurs de la région, comme le montrent ces enquêtes nationales. Ces dernières ont également accéléré la collaboration entre les parties prenantes au sein de l'écosystème financier numérique de chaque pays, débouchant sur des actions concrètes :
- Les autorités du secteur financier de chaque pays (par exemple les agences du ministère des Finances) ont élaboré des plans d'action pour réduire les risques pour les consommateurs en consultation avec d'autres acteurs de la finance numérique. En Côte d’Ivoire, par exemple, l’OQSF a développé un comparateur de prix pour améliorer la transparence des prix du mobile money et une vidéo destinée au public pour alerter contre la fraude au niveau des SFN.
- Les prestataires de services financiers numériques au Sénégal et en Côte d’Ivoire, comme MTN, Orange et Wave, intensifient leurs efforts pour lutter contre la fraude, particulièrement répandue dans les deux pays. L'OQSF et les prestataires ont également mené des campagnes de sensibilisation au Sénégal pour lutter contre la fraude et les escroqueries.
- Les bailleurs de fonds internationaux soutiennent des pratiques plus responsables dans ces trois pays et au-delà. La Commission américaine du commerce a organisé le renforcement des capacités des régulateurs, et la Banque mondiale aide le Niger à lancer une enquête nationale similaire.
- Enfin, au niveau régional, la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) revoit le cadre réglementaire de la protection des consommateurs dans les services financiers, y compris les SFN.
En conclusion, le WAEMU Lab ne portera ses fruits que si les utilisateurs des SFN sont confrontés à moins de risques et obtiennent ce qu'ils attendent des services souscrits. Nous ne pouvons le savoir qu’en surveillant la situation sur le terrain. En Côte d’Ivoire, le WAEMU Lab aide les autorités locales à suivre l’évolution des risques et de l’expérience des consommateurs par le biais d'une seconde enquête. Les résultats nous diront si les risques ont diminué depuis la première enquête menée en 2022.
Les résultats issus de vos études montrent sans doute que l’inclusion financière dans les trois pays est une réalité mais, des défis importants restent à relever. Ainsi, une collaboration soutenue entre les acteurs de l’éco système financier et les consommateurs de services financiers est nécessaire pour la prise de mesures importantes afin de réduire les risques identifiés dans l’utilisation des services financiers numériques.
Des données très intéressantes qui montrent à quel point les Opérateurs ont des responsabilités majeurs sur les avoirs des populations. Toutefois, la vraie solution contre le fléau de la fraude sur les SFN réside dans l'identification formelle des usagers à travers des Puces téléphoniques (numéro unique). Ce qui ne peut garanti que par les Etats par une législation claire et appliquée sous surveillance permanente des agences de régulation.
Leave a comment