Interview FinDev

L'autonomisation des jeunes entrepreneurs en Tunisie

Interview du Portail Arabe d'Enda Tamweel, lauréat du Prix d'excellence Sanabel au service des jeunes

Lors de la conférence annuelle de Sanabel, qui s'est tenue à Beyrouth du 7 au 8 novembre 2017, Enda tamweel a remporté le prix d'excellence du réseau régional pour son travail en faveur des jeunes. Le Portail arabe de la Microfiance, partenaire média de la conférence, a mené cette interview avec l'équipe d'Enda tamweel pour en savoir plus sur leur programme au service de l'entrepreneuriat des jeunes.

Quels sont les principaux défis auxquels la jeunesse tunisienne est confrontée pour accéder au financement et démarrer une entreprise ?

Du côté de l'offre, le système bancaire est le principal obstacle rencontré par les jeunes tunisiens, suivi par la bureaucratie et les disparités régionales. Les banques et institutions financières sont extrêmement frileuses au risque en Tunisie, surtout en ce qui concerne les microentreprises et les projets entrepris par les jeunes entrepreneurs, considérés comme étant trop risqués. En conséquence, les garanties exigées par les institutions financières sont trop élevées pour de nombreux déposants. Les procédures et la corruption sont également des obstacles.

Du côté de la demande, les normes culturelles et sociales limitent l'esprit d'entreprise chez les jeunes. Malgré la volatilité des conditions économiques et politiques et un taux de chômage atteignant plus de 35% (OIT, 2017) chez les jeunes, la société tunisienne a toujours une préférence pour la stabilité de l'emploi salarié par rapport au travail indépendant ; limitant ainsi le développement de l'entrepreneuriat. Les jeunes tunisiens ont une faible estime d'eux-même et sont découragés par leurs familles de prendre ce type de risque. Cette question concerne encore plus les jeunes femmes qui veulent démarrer une entreprise, considéré comme une charge de travail secondaire à leur rôle principal au sein du ménage. 

Enfin le système éducatif manque de programmes spécifiques visant à développer le leadership et les compétences non techniques, et néanmoins cruciaux pour devenir entrepreneur. Plusieurs programmes financés par des bailleurs ont été mis en oeuvre récemment pour combler le déficit de formations entrepreneuriales. Cela ne doit pas faire l'économie d'un plan plus concerté pour coordonner ces efforts afin de répondre aux divers besoins des jeunes.

Quand et pourquoi Enda a décidé de servir le segment des jeunes ?

La révolution a mis en avant plusieurs faiblesses du pays : la pauvreté rurale, le chômage élevé et persistant, le manque d'opportunités pour la population majoritairement jeune et les disparités régionales. Les gouvernements successifs ont lutté pour remplir les promesses de la révolution, mais la migration illégale s'est développée et un certain degré de radicalisation s'est développé, particulièrement parmi les jeunes. Le gouvernement tunisien a vu l'entrepreneuriat comme un moyen de création d'emplois en encourageant les associations et les institutions à travailler avec les jeunes.

À la fin des années 2000, Enda a porté une attention particulière aux jeunes des zones défavorisées, principalement en accordant des prêts et en créant des jeunes entreprises. Après la Révolution de 2011, Enda a renforcé sa mission sociale en mettant davantage l'accent sur la promotion de l'entrepreneuriat et de l'auto-emploi chez les jeunes. 

Fin 2011, Enda a lançé un nouveau programme "Promouvoir le travail indépendant chez les jeunes - Bidaya" (prêts aux start-ups) et a développé une stratégie pour encourager l'entrepreneuriat des jeunes en adaptant des modèles déjà développés au contexte local, en développant de nouveaux partenariats, en développant des services financiers et non financiers dans les zones rurales grâce à la technologie mobile. À ce jour, le programme "Bidaya" a soutenu la création de 12 800 entreprises et 12 700 emplois supplémentaires, créant ainsi 25 500 nouveaux emplois, pour un investissement total de 25 millions USD.

Comment Enda définit-il le segment des jeunes ?

Selon Enda, les jeunes concernent des hommes et des femmes âgés de 18 à 35 ans appartenant à des ménages vivant avec moins de 3USD par jour (85% des clients d'Enda). Même s'ils peuvent être vulnérables, plus faciles à influencer et plus susceptibles d'être attirés par la migration illégale et la radicalisation, ils ont un grand potentiel et peuvent jouer un rôle crucial dans le développement économique et le changement social.

 

Même s'ils peuvent être vulnérables et plus susceptibles d'être attirés par la migration illégale, ils ont un grand potentiel et peuvent jouer un rôle crucial dans le développement économique et le changement social.

 

Quels sont les produits et services financiers et non financiers offerts par Enda aux jeunes ?

Fin 2011, Enda a lancé le programme "Bidaya", avec le soutien de la Confédération suisse, qui cible les jeunes tunisiens de 18 à 35 ans. Il se compose de trois étapes : 

  • Au cours de la première étape, le jeune développe un plan d'affaires détaillé.
  • La deuxième étape, ou l'étape du financement, a également évolué avec l'expérience. Les éléments clés comprennent un taux de prêt préférentiel, des calendriers de remboursement flexibles (principalement en fonction des flux de trésorerie), une période de grâce (jusqu'à 6 mois) et la possibilité d'un rééchelonnement ou d'une restructuration en cas de problème. Le montant du prêt "Bidaya" peut aller jusqu'à 8 300 USD, sur une période allant jusqu'à 36 mois, selon le plan d'affaires et l'évaluation des risques.
  • La troisième étape - le soutien continu à l'entreprise - s'est avérée essentielle pour le succès à long terme, notamment en raison d'un taux d'échec de démarrage assez élevé (25%) au cours des trois premières années. C'est une relation permanente au cours de laquelle l'accès à la formation technique et aux opportunités de réseautage est possible. Cet appui post-création est toutefois insuffisant et il est important d'essayer de mobiliser des entrepreneurs expérimentés pour conseiller et appuyer les jeunes start-ups.

À travers des campagnes de communication et des concours, Enda promeut la culture entrepreneuriale et soutient la création d'entreprises. Par la suite, les demandes sont recueillies et traitées, et les candidats passent des entretiens de sélection. Les jeunes sélectionnés reçoivent une formation sur la confiance en soi, les principes de l'entrepreneuriat et la rédaction de plans d'affaires. Une fois l'entreprise démarrée, Enda offre des services de développement et de marketing. Cet appui joue un rôle essentiel de conseil et d'intermédiation pour favoriser l'autonomisation des jeunes en abordant les problèmes de gestion interne des entreprises, en facilitant l'accès aux marchés, en établissant des liens avec les parties prenantes publiques et privées et en favorisant la durabilité des entreprises.

Depuis l'introduction du programme "Village entreprendre" en 2016, 3 500 entrepreneurs ont bénéficié d'un accompagnement sur mesure, 72% de jeunes et 62% de femmes. Aujourd'hui, 800 startups sont en activité, créant plus de 3 000 nouveaux emplois, dont 56% appartiennent à des femmes dans divers secteurs : artisanat, technologie, santé et action sociale, restauration, recyclage, commerce, construction, réparation, agriculture, éducation, etc.

Comment Enda s'adresse aux jeunes ?

Enda ne ménage pas ses effortr pour atteindre les jeunes. Avec un réseau de plus de 80 agences réparties sur tout le territoire et 1 000 agents de crédit, nos équipes s'appuient sur des relations de proximité avec les communautés et les jeunes. Au cours de ses 27 années d'existence, Enda a développé une notoriété incontestée et le bouche-à-oreille est devenu sans conteste un canal de communication incontournable.

Les jeunes étant très présents sur les réseaux sociaux, Enda a développé une communauté virtuelle. Elle développe aussi continuellement ses canaux de promotion à travers la prospection sur le terrain et les événements entrepreneuriaux. Le développement d'espaces dédiés à l'entrepreneuriat, de clubs/cafés d'affaires et d'événements de réseautage contribuent en outre à la mise en place de nouvelles dynamiques dans les quartiers et à la promotion de la culture entrepreneuriale.

Quels sont les défis auxquels vous avez fait face lorsque vous avez commencé à servir ce segment de clientèle et comment les avez-vous surmontés ?

Pour parer le manque de culture entrepreneuriale chez les jeunes en Tunisie, Enda a lancé le programme "Projet de vie". L'appui que l'institution propose en amont vise non seulement à améliorer ses chance de trouver un emploi décent ou à entrer dans l'entrepreneuriat, mais aussi à faire des jeunes des agents de changement. Ils ne sont pas seulement concernés par les défis sociaux et économiques de leurs communautés, mais travaillent également pour les surmonter et fournir des solutions innovantes et responsables. Ils participent activement à la vie économique, sociale, politique et culturelle. En outre, les jeunes entrepreneurs sont plus susceptibles de considérer leurs entreprises comme faisant partie intégrante d'un contexte sociétal plus large dans lequel ils peuvent contribuer à l'amélioration des conditions de vie.

De plus, afin d'insuffler un esprit d'entreprise précoce (initiative, confiance, prise de risque calculée, créativité, organisation, ténacité ...), Enda déploie le programme d'éducation financière "Aflatoun" auprès des enfants des clients et des jardins d'enfants d'écoles privées et une intervention pilote avec une école publique à Kasserine, visant à promouvoir l'entrepreneuriat des jeunes. Aussi, pour promouvoir la culture numérique et l'innovation et pérenniser les entreprises existantes, Enda a introduit la notion de "camps d'idéation" via des formations numériques et de digitalisation commerciale. 

Enfin, convaincu que des partenariats multisectoriels efficaces nous permettront d'aller plus loin et mieux servir les couches vulnérables de la population, en particulier les jeunes, Enda travaille à créer des partenariats qui exploitent les synergies entre les secteurs.

Quelle est la stratégie future d'ENDA pour servir les jeunes ?

La stratégie future d'Enda pour servir les jeunes comprend six éléments :

  1. Actuellement, Enda réaffirme son engagement envers la jeunesse et rompt avec le modèle de prêt classique pour établir un partenariat stratégique avec les jeunes entrepreneurs. En d'autres termes, les étapes sont convenues à l'avance et le décaissement est effectué en plusieurs versements en fonction des réalisations, des besoins et des flux de trésorerie. Enda favorise le réseautage, les partenariats, la durabilité des entreprises et l'innovation.
  2. Enda travaille sur de nouveaux services financiers, y compris "Bidaya", des prêts à de très petites entreprises non agricoles, des prêts à de très petites entreprises agricoles et des prêts écologiques.
  3. Enda travaille sur le développement de nouveaux services tels que la microassurance (couverture du risque opérationnel) et les services numériques (carte électronique, paiements mobiles).
  4. Par le biais du programme "Projet de vie", Enda entend promouvoir un esprit d'entreprise naissant, efficace et raisonné. Il offre aux jeunes un leadership transformationnel et une formation en gestion du changement. En outre, ce programme vise à créer de nouvelles dynamiques sociales dans les quartiers pauvres et à soutenir les initiatives locales et l'entrepreneuriat social.
  5. Enda travaille au développement de programmes d'intégration culturelle, sociale et économique, d'incubation d'entreprises, de programmes de mentorat, d'échanges/réseautage, de formation numérique et de développement web, de compétences non techniques et de leadership, de coaching personnel et professionnel, d'appui au marketing et à l'exportation, et une plateforme de commerce équitable.
  6. En instaurant de bonnes pratiques financières et un esprit d'entreprise dès le plus jeune âge, à travers le programme "Aflatoun", Enda espère permettre aux jeunes d'atteindre leur plein potentiel.

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